le Roman - évolution historique

le Roman - évolution historique

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    " Le roman n'a plus de cadre, il a envahi et
    dépossédé tous les autres genres. Comme la
    science, il est maître du monde..."
    (Emile Zola, Le Naturalisme au théâtre, 1881)



Dans l'Antiquité la distinction entre récit véridique et récit fictif est confuse, et ne s'inscrit pas toujours dans des genres littéraires définis

Entre le Vème et le VIIIème siècle, le terme "roman" désigne une langue parlée. C'est l'ensemble des dialectes résultant de l'évolution du latin argotique que les envahisseurs latins ont imposé sur le territoire de la Gaule.
Vers le IXème siècle le "roman" commence à s'écrire.
Vers le XIème , Roman va désigner des ?uvres en vers écrites en roman racontant des aventures par opposition à celles écrites en latin; l'expression "mettre en roman" apparaît vers 1150 pour désigner des récits adaptés des textes latins : elle décrit alors le choix d'une langue et une pratique, la traduction (ou translatio), qui est en général une adaptation plus ou moins éloignée. La langue vulgaire est d'abord utilisée pour des textes de nature hagiographique, mais très vite la fiction s'en empare. Le nouveau genre littéraire ainsi créé prend le nom de la langue qu'il utilise. Le sens usuel du terme "roman" demeure toutefois assez longtemps celui de "récit composé en français", même si Chrétien de Troyes substitue à l'expression "mettre en roman" celle de "faire un roman" qui met l'accent sur son activité créatrice.
Cependant, aux XIIème et XIIIème siècles, on appelle aussi "romans" des textes qui n'en sont pas tout à fait (Roman de Brut, Roman de la Rose, Roman de Renart), tandis que l'on continue de trouver en concurrence, pour désigner le genre romanesque, le mot "conte", qui en ancien français a le sens général de récit.
En tout état de cause, le XIIème siècle est celui de l'invention du genre romanesque en langue française. Il voit fleurir des romans d'une grande diversité thématique, mais qui tous sont des romans en vers.
Comme la chanson de geste, les premiers romans français sont en vers. Le mètre et la structure utilisés sont toutefois plus souples : des couplets d'octosyllabes à rimes plates (aa, bb, cc, etc.) ont remplacé les décasyllabes organisés en laisses de la chanson de geste. Contrairement à la poésie lyrique et à la chanson de geste, le roman n'est pas destiné au chant mais à la lecture, même s'il s'agit encore le plus souvent d'une lecture à haute voix. Le roman revendique donc le statut de texte écrit.
Les prologues des romans en vers insistent d'ailleurs sur le travail et le savoir-faire de l'écrivain, qui y est souvent nommé. Ils sont le lieu d'une réflexion sur l'écriture, sur son rapport à sa source. "Mettre en roman", c'est mettre en mémoire (en remembrance), consigner le passé par écrit afin qu'il survive. C'est aussi diffuser un savoir et une sagesse : le romancier médiéval est le plus souvent un clerc, éclairé par la religion chrétienne et capable de " gloser la lettre ", mais il faut également divertir pour instruire.
Les sujets traités par les romans en vers sont extrêmement divers. Au début du XIIIème siècle, jean Bodel distingue (dans la Chanson des Saisnes, v. 6-11), trois "matières" (ou sujets) romanesques : La "matière de France" (Les chansons de geste et leurs sujets épiques), la matière antique ("matière de Rome la grant"), et la matière de Bretagne (les "contes de Bretagne", qualifiés de "vains et plaisants"). Il existe également dès le XIIème siècle une tendance plus "réaliste" du roman en vers.

À la fin du Moyen Age, la distinction entre récit véridique et récit fictif deviendra rigoureuse quand l'Histoire, récit de faits mémorables, s'opposera à la Fable, récit de faits imaginaires. Le roman, qui se constitue sous sa forme moderne à cette époque, est un genre ambigu : il se distingue de l'Histoire parce qu'il relate des faits imaginaires, et de la Fable parce qu'il prétend exprimer une certaine vérité, distincte de l'exactitude historique, et qu'on a appelée vraisemblance ou vérité artistique : " Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable " (Boileau) ; « (Je vois une) différence entre la Vérité de l'art et le Vrai du fait" ; "La vérité dont (le romancier) doit se nourrir est la vérité d'observation sur la nature humaine et non de l'authenticité du fait " (Vigny).

Il faudra , attendre le XVIème siècle pour que le roman, art de la prose, se démarque définitivement de ses origines et prenne son véritable essor. L'appellation se généralisera aux oeuvres en prose racontant des aventures guerrières ou sentimentales. Il s'imposera alors peu à peu comme le plus répandu (pour la production et la lecture) le plus diversifié des genres littéraires. " Un homme, c'est toujours un conteur d'histoires, il vit entouré de ses histoires et des histoires d'autrui, il voit tout ce qui lui arrive à travers elles ; et il cherche à vivre sa vie comme s'il la racontait ". (Sartre).
Ces récits ont plusieurs fonctions dans la société. L'une d'elles consiste à réaliser en imagination les désirs impassibles à satisfaire dans la réalité ; l'autre consiste à donner un sens au réel,-à diffuser une Vision du monde et, avec elle, des modèles de conduite.
Au XVIème siècle, lorsque le Français devient la langue officielle sur le territoire des Francs, un roman va désigner une oeuvre d'imagination, en prose, assez longue, "romanesque".

De tous les genres littéraires (passant par l'écriture), le roman est le plus moderne. Il réunit la narration, les dialogues et les descriptions, trois caractéristiques qui le distinguent.
Son ancêtre "phylogénétique" demeure l'Épopée, car elle comporte également une narration descriptive renfermant des dialogues. Ces deux genres partagent en outre l'étendue du propos et sa durée.
De la Tragédie, le roman garde surtout l'étendue du propos et sa durée. De la tragédie, le roman a surtout emprunté l'introspection et le regard lucide porté sur les mobiles de l'action.

Toutefois, le roman constitue un genre "décadent" en regard de l'Épopée. En effet, la conscience du héros épique se rallie à un esprit collectif et ses valeurs sont transparentes, ce qui signifie qu'il connaît ses raisons de vivre.
Au contraire, le héros de roman se retrouve avec un moi individuel, il cherche ses valeurs et doit lui-même trouver un sens à sa vie (Cf le Héros).

-C'est avec Chrétien de Troyes, le "père" du genre romanesque que le roman va désigner des oeuvres littéraires qui racontent une histoire fictive d'amour et d'aventure. Chrétien Aux environs de 1170, il écrit pour Marie de Champagne et Philippe d Alsace : Erec et Enide, Cligès, Yvain, Lancelot ou le Chevalier à la Charrette, le roman de Perceval ou le Conte du Graal, autant de créations qui appartiennent à l'honneur de Chrétien et non pas à une littérature prestigieuse; ce sont des romans arthuriens. Arthur est un roi légendaire qui a vécu à une époque indéterminée. L'environnement romanesque est celui du XIIème siècle Il utilise des contes mal racontés et leur donne une belle structure. Il se place donc sur le terrain esthétique. Le roman doit être bien construit mais pas forcément vrai..
Alors que la Chanson de geste s'intéressait à la guerre et prétendait raconter l'Histoire de France, le public veut de belles histoires et l'amour va petit à petit jouer un rôle essentiel. Quand Roland meurt à Roncevaux, il n'a pas de pensée pour sa bien-aimée. Or dans le roman, on accomplit des exploits pour les beaux yeux d'une dame; l'action est concentrée dans le temps et autour d'un personnage central (amour de Lancelot pour Guenièvre). Il ne s'agit plus de guerre avec les les Sarrasins ou les Anglais . L'action se place dans un temps légendaire; le sujet du roman se confond avec les aventures et le destin d'une personne unique, de sa vie.
Le public va très vite être fasciné par les romans, provoquant la réaction des moralistes qui considèraient que raconter des histoires d'amour et écouter des aventures mensongères étaient des frivolités pendant que, plus tard, Voltaire, de son côté, pense que ce genre littéraire est "réservé d'abord aux femmes et aux faibles d'esprit".

À partir de la mort de Louis XIV en 1715, la période de vicissitudes et de bouillonnement intellectuel et social est propice au développement romanesque. Les audaces de la philosophie expérimentale, les polémiques de toutes natures qui ébranlent les dogmatismes, l'importance croissante du commerce et de l'industrie préparent l'avènement politique de la bourgeoisie et sont aussi des facteurs qui rendent nécessaire une littérature moins préoccupée des règles de l'art et des préceptes du goût que d'offrir une image fidèle du monde réel, terrain d'expérience et de réussite de la volonté bourgeoise. Le roman, genre libre, sans poétique officielle, s'y prête. C'est ce que l'abbé Prévost dans l'Avis au lecteur de Manon Lescaut en indiquant que désormais le roman doit proposer au lecteur une leçon de vie tirée d'expériences authentiques ou qui pourraient l'être.

Dans sa théorie sur le roman, Georges Luckacs soutient que le héros romanesque recherche des valeurs absolues dans un monde où elles sont dégradées. Don Quichotte de la Manche de Cervantès ou Le Père Goriot de Balzac restent les meilleurs exemples de cette situation. Il est donc un héros de la désillusion, ce qui explique peut-être le nombre effarant de suicides dans la littérature comme dans le monde réel.
Par ailleurs, le héros du roman se démarque de héros du Conte par un trait essentiel. Alors que le héros de conte accomplit un voyage phénoménologique à caractère initiatique dans lequel les êtres évoluent à son contact, le héros problématique romanesque, lui, réalise un voyage à l'intérieur de lui-même dans lequel il évolue au contact des êtres et des choses (ce qu'on nomme le "moi kaléidoscopique").

Finalement, le fourmillement de personnages au sein du roman donne l'impression de société. Les décors et les lieux relèvent de l'univers du lecteur, renforçant ainsi la réalité des personnages et rendant aussi vraisemblable le fait de pouvoir les croiser fortuitement lors de nos déplacements urbains. Ainsi, si l'on est sur le boulevard Saint-Honoré à Paris,on peut s'imaginer que Rastignac en a déjà foulé la chaussée d'un pas conquérant.
De Balzac à Zola, de Zola à Proust, de Proust à Sartre, de Sartre à Butor, le roman a changé. Il a changé d'objet, de procédés, de desseins. Ses formes successives ont été en rapport avec les transformations de la société, quand ce n'était pas sous le coup des bouleversements de l'histoire ; avec les progrès des autres arts, en particulier, du cinéma ; avec l'influence croissante des romans étrangers. En même temps, une sorte de malaise s'installait chez beaucoup de romanciers ; depuis Bouvard et Pécuchet , ou bien depuis Paludes , on était entré dans ce qu'on a appelé depuis l'" ère du soupçon " : il paraissait de plus en plus difficile de raconter avec aplomb une histoire captivante.

-Le roman, miroir de la société
Déjà en son temps, Balzac avait proposé au roman des ambitions nouvelles. Dans le célèbre avant-propos à La Comédie humaine (1842), il s'était proclamé l'historien des moeurs, décrivant Paris et la province, la noblesse et la bourgeoisie, l'armée et le clergé, la presse et l'édition.
De Balzac à Zola, et quelles que soient les différences qu'il comporte, le roman se propose d'être comme le miroir du XIXème siècle. Waterloo est raconté par Victor Hugo dans Les Misérables , il l'avait été avec Stendhal dans La Chartreuse de Parme. La révolution de 1848 était évoquée dans L'Éducation sentimentale. La Débâcle de Zola décrivait la défaite de 1870. Les Goncourt s'affirmaient, eux aussi, les historiens du présent. Zola, qui considérait le roman comme une vaste enquête sur la nature et sur l'homme, voulait, dans ses Rougon-Macquart , " étudier tout le second Empire, peindre tout un âge social ".
De 1830 à 1890, la société française a changé, et ce changement se reflète dans le roman; Balzac avait donné aux usuriers un rôle considérable parce qu'en son temps le crédit n'était pas encore organisé ; mais Zola, dans La Curée , évoquait les spéculations liées aux grands travaux d'urbanisme. Dans L'Argent , la spéculation boursière l'emportait même sur la spéculation foncière. Zola a saisi, dans Au Bonheur des dames , un développement de l'économie auquel Balzac n'avait pu assister : l'élimination du petit commerce par les grands magasins. Surtout, de Balzac à Zola, on assiste, dans le roman, à la montée d'une force neuve, celle du peuple. Il était déjà présent dans l'oeuvre de George Sand ; il y avait, dans Les Misérables de Hugo, un Paris qu'on ne trouve pas chez Balzac, celui qui, au XIXème siècle, faisait le coup de feu sur les barricades. Mais c'est L'Assommoir de Zola qui était le premier grand roman sur le peuple, et qui avait, disait Zola, " l'odeur du peuple ". Germinal , quelques années plus tard, était le roman de la révolte populaire, le roman d'un peuple qui devenait, virtuellement, le moteur de l'histoire.

Une immense carrière est ouverte au roman, dès lors qu'on le conçoit comme une description encyclopédique du réel ; il n'est pas étonnant que les romanciers aient bonne conscience et que toutes leurs préfaces respirent une assurance tranquille : la création romanesque repose sur le " sol philosophique " d'un positivisme largement compris. Certes, il y a du romantisme et du mysticisme chez Balzac : le dynamisme de Zola contraste avec le pessimisme de Flaubert. Le dessein encyclopédique prend même, dans Bouvard et Pécuchet , un aspect dérisoire et caricatural qui fait de ce roman un des premiers symptômes de la crise du genre. Il est vrai aussi que, chez Hugo, la révolte populaire, loin d'être, comme chez Zola dans Germinal , le conflit de deux forces en présence, " la lutte du capital contre le travail ", n'était qu'une sorte de sacrifice expiatoire qui annonçait le paradis de l'avenir. Mais, si l'on prend du recul, et tout en gardant à l'esprit ces différences, on voit que le romancier se comporte comme un savant historien qui domine son temps et qui l'envisage comme le domaine de sa compétence. Peu importe qu'il expose une crise ou qu'il raconte une vie, qu'il intervienne pour apporter des renseignements ou qu'il se réfugie dans l'impassibilité : ses lecteurs, et il le sait, s'instruisent en le lisant. Enfermés dans l'étroitesse de leur propre vie, et sans autre moyen de communication avec le dehors, ils brûlent de connaître la vie des autres et d'avoir des vues d'ensemble de cette époque qui est la leur, et dont ils ne perçoivent par eux-mêmes qu'un secteur minuscule.

Parmi les caractéristiques du Roman, au niveau de sa structure, on peut noter que :
un certain nombre d'événements sont présentés à la fois logiquement et chronologiquement. Le " retour en arrière " ne trahit guère la chronologie : il expose les causes. Chaque épisode ouvre doucement vers le suivant. Le présent est expliqué par le passé, et il prépare l'avenir. C'est que le temps est pensé par le romancier comme le déploiement d'un système d'explication. Même quand il se cache, le romancier est là, pour unifier, de son point de vue " divin ", tous les incidents qu'il rapporte. Il est déterministe parce qu'il croit aux influences du milieu, mais surtout parce qu'il pense une vie comme un enchaînement de circonstances. Le romancier s'arroge la mission du savant : connaître le réel, et le faire connaître en l'exposant.

Source: http://rabac.com




 

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