l'Existentialisme

l'Existentialisme

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L'existentialisme est un courant littéraire et philosophique né dans l'entre-deux-guerres, il est marqué par une période historique qui se définit dans une crise des valeurs humaines. Une génération d’auteurs (Sartre, Beauvoir, Camus, Vian, Malraux) s’interroge sur l’existence et la condition humaine (comment définir l’individu ?), ils publient leurs travaux dans la revue Les Temps Modernes.

Les productions philosophiques (des essais comme L’être et le néant de Sartre ou le mythe de Sisyphe et l’homme révolté de Camus) sont associées aux productions littéraires. On y trouve une littérature narrative et dramatique (influence du théâtre de l’absurde) qui repose sur deux notions : l’absurdité et l’athéisme.

L’athéisme présente un monde sans Dieu, la solitude métaphysique de l’homme et son désespoir (car il n’y a pas de vie après la mort, « horizon bouché »). L’absurdité de notre condition est soulignée par l’absence de signification et le sentiment d’en faire l’expérience concrète.

L’existence devient alors problématique : qu’est-ce qu’être ?

* « Être » se rapporte à l’essence (qualités, attributs) ; l’individu est définissable car il a un contenu (une personnalité), il est donc définit par la somme de ses qualités et ses idées. De plus, si l’on se réfère à l’emploi attributif du verbe « être » qui suppose une signification, l’être est donc significatif.

* « Être », c’est exister. Cf. Céline « C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu » : crise du sujet qui se vide de son contenu. L’individu se définit par sa présence.

Selon Sartre, dans la Nausée, c’est l’expérience physique selon laquelle une chose n’a pas de sens, ni d’attribut.

« Je ne peux pas dire que je me sente allégé ni content ; au contraire, ça m’écrase. Seulement mon but est atteint : je sais ce que je voulais savoir ; tout ce qui m’est arrivé depuis le mois de janvier, je l’ai compris. La Nausée ne m’a pas quitté et je ne crois pas qu’elle me quittera de sitôt ; mais je ne la subis plus, ce n’est plus une maladie ni une quinte passagère : c’est moi. Donc j’étais tout à l’heure au Jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J’étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j’ai eu cette illumination.
Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire « exister ». J’étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je disais comme eux « la mer est verte ; ce point blanc, là-haut, c'est une mouette », mais je ne sentais pas que ça existait, que la mouette était une « mouette-existante » ; à l’ordinaire l’existence se cache. Elle est là autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d’elle et, finalement , on ne la touche pas. Quand je croyais y penser, il faut croire que je ne pensais rien, j’avais la tête vide, ou tout juste un mot dans la tête, le mot « être ». Ou alors, je pensais... comment dire ? Je pensais l’appartenance, je me disais que la mer appartenait à la classe des objets verts ou que le vert faisait partie des qualités de la mer. Même quand je regardais les choses, j’étais à cent lieues de songer qu’elles existaient : elles m’apparaissaient comme un décor. Je les prenais dans mes mains, elles me servaient d’outils, je prévoyais leurs résistances. Mais tout ça se passait à la surface. Si l’on m’avait demandé ce que c’était que l’existence, j’aurais répondu de bonne foi que ça n’était rien, tout juste une forme vide qui venait s’ajouter aux choses du dehors, sans rien changer à leur nature. Et puis voilà : tout d’un coup, c’était là, c’était clair comme le jour : l’existence s’était soudain dévoilée. Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite ; c’était la pâte même des choses, cette racine était pétrie dans de l’existence. Ou plutôt la racine, les grilles du jardin, le banc, le gazon rare de la pelouse, tout ça s’était évanoui ; la diversité des choses, leur individualité n’étaient qu’une apparence, un vernis. Ce vernis avait fondu, il restait des masses monstrueuses et molles, en désordre – nues, d’une effrayante et obscène nudité
. »


Dans ce passage consacré à l'être, Sartre développe l'avant (« Et puis j’ai eu cette illumination ») et l'après révélation de l’essence. Avant la révélation, il est dans le leurre permanent en pensant qu’un objet a un contenu et qu’une fonction, une utilité, une couleur, une « forme » lui sont attribuées selon ses qualités appréciatives (jugement de valeur). Ces attributs donnant aux objets du sens, ils les rendent définissables et compréhensibles. Or, sous le « vernis » (= l’illusion, les qualités de l’objet) se dissimule la « racine » (= l’essence).

Il prend conscience que l’existence a liée à la pure matérialité de l’objet, elle est vide d’attribut et résiste à la conscience et au jugement. Les objets sont creux, informes, faits de matériaux bruts, effrayants car on ne peut plus les définir : il n’existe plus de qualité qui puisse les décorer pour leur donner une signification. Les objets s’imposent dans leur nudité, ils ont perdu leurs prétextes pour exister, la raison qui justifiait leur présence dans le monde. A présent, chaque objet est inutile, ils ne sont plus que de la matière sans qualité : ils sont absurdes.

« Le mot d'Absurdité naît à présent sous ma plume ; tout à l'heure, au jardin, je ne l'ai pas trouvé. mais je ne le cherchais pas non plus, je n'en avais pas besoin : je pensais sans mots, sur les choses, avec les choses. »

« Noire? J'ai senti le mot qui se dégonflait, qui se vidait de son sens avec une rapidité extraordinaire. Noire? La racine n'était pas noire, ce n'était pas du noir qu'il y avait sur ce morceau de bois ; c'était... autre chose: le noir, comme le cercle, n'existait pas. Je regardais la racine: était‑elle plus que noire ou noire à peu près. Mais je cessai bientôt de m'interroger parce que j'avais l'impression d'être en pays de connaissance.
Oui, j'avais déjà scruté, avec cette inquiétude, des objets innommables, j'avais déjà cherché ; vainement ; à penser quelque chose sur eux: et déjà j'avais senti leurs qualités, froides et inertes, se dérober, glisser entre mes doigts.
» (Sartre, La Nausée).

Les choses apparaissent sans signification, elles sont étrangères donc étranges. Le réel impose son étrangeté radicale et absolue. La nausée, c’est le sentiment physique de cette étrangeté. Les choses résistes au discours et au langage, on ne peut donc pas poser des mots sur les objets (inutilité des mots) ; les signes n’adhèrent plus à leurs référents.


« Ce moment fut extraordinaire. J'étais là, immobile et glacé, plongé dans une extase horrible. Mais, au sein même de cette extase quelque chose de neuf venait d'apparaître; je comprenais la Nausée, je la possédais. A vrai dire je ne me formulais pas mes découvertes. Mais je crois qu'à présent, il me serait facile de les mettre en mots L'essentiel c'est la Contingence. Je veux dire que, par définition, l'existence n'est pas la nécessite. Exister, c'est être là, simplement; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. I1 y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or, aucun être nécessaire ne peut expliquer l'existence la contingence n'est pas un faux semblant, une apparence qu'on peut dissiper; c'est l'absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi‑même. Quand il arrive qu'on s'en rende compte, ça vous tourne le cœur et tout se met à flotter, comme l'autre soir, au a Rendez‑vous des Cheminots »: voilà la Nausée; voilà ce que les Salauds ; ceux du Coteau Vert et les autres ; essaient de se cacher avec leur idée de droit. Mais quel pauvre mensonge: personne n'a le droit; ils sont entièrement gratuits, comme les autres hommes, ils n'arrivent pas à ne pas se sentir de trop. Et en eux‑mêmes, secrètement, ils sont trop, c'est‑à‑dire amorphes et vagues, tristes » (Sartre, La Nausée).


Le monde a perdu tous les prétextes pour exister.

Les « salauds », ce sont les hommes qui cherchent des raisons de vivre, un ordre établit pour s’y plier. Pour eux, le destin justifie l’existence et détermine nos actions. Sartre dénonce ici les bourgeois catholiques pratiquants. Ils revendiquent un ordre du monde nécessaire (existence de Dieu), sont plein de certitudes et invoquent de fausses raisons (sexe, origine sociale, nationalité, religion).

Pour Sartre, l’identité à laquelle se réfèrent les bourgeois est un ensemble de catégories qui sont en fait trompeuses. Selon lui, l’individu n’a pas d’identité, il n’existe rien qui détermine ou préexiste. L’individu est un être absolument vierge, sans passé et sans ascendant, à la racine de l’être est le néant. Rien ne le détermine, rien ne le justifie, il doit se contenter d’exister sans croire être quelque chose ou quelqu’un.

Puisqu’il n’existe pas de passé, l’individu tout entier doit être orienté vers l’avenir. Sartre parle de l’être possible, projeté vers l’avant, un être libre, absolument libre. L’individu n’existe plus dans la définition de lui-même, mais dans l’action, dans sa construction : il est son œuvre.


Camus, dans l’Etranger (1942), exprime cette absurdité de l’existence. L’étranger, c’est un être anesthésié, insensible (intériorité vide), sans personnalité affirmée, indifférent au monde : c’est un anti-héros. Il n’est pas doté de qualité ou de défaut, n’a guère d’enthousiasme ou de désespoir, il est creux.

La phrase de Mersault, personnage principal du roman, « je me sentais tout à fait vide » évoque la condition de l’homme moderne. Il n’a pas de contenu, ni d’essence, il est juste une présence. C’est sa passivité qui le distingue, il n’agit pas. Mersault est condamné à mort pour des raisons infondées, sa condition, tout comme son emprisonnement, sont absurdes.


« Lorsqu'un jour, le gardien m'a dit que j'étais là depuis cinq mois, je l'ai cru, mais je ne l'ai pas compris. Pour moi, c'était sans cesse le même jour qui déferlait dans ma cellule et la même tâche que je poursuivais. Ce jour-là, après le départ du gardien, je me suis regardé dans ma gamelle de fer. Il m'a semblé que mon image restait sérieuse alors même que j'essayais de lui sourire. Je l'ai agitée devant moi. J'ai souri et elle a gardé le même air sévère et triste. Le jour finissait et c'était l'heure dont je ne veux pas parler, l'heure sans nom, où les bruits du soir montaient de tous les étages de la prison dans un cortège de silence. Je me suis approché de la lucarne et, dans la dernière lumière, j'ai contemplé une fois de plus mon image. Elle était toujours sérieuse, et quoi d'étonnant puisque, à ce moment, je l'étais aussi? Mais en même temps et pour la première fois depuis des mois, j'ai entendu distinctement le son de ma voix. Je l'ai reconnue pour celle qui résonnait déjà depuis de longs jours à mes oreilles et j'ai compris que pendant tout ce temps j'avais parlé seul. Je me suis souvenu alors de ce que disait l'infirmière à l'enterrement de maman. Non, il n'y avait pas d'issue et personne ne peut imaginer ce que sont les soirs dans les prisons » (Camus, L’Etranger, fin du chapitre II et de la 2nde partie).


Sans issue, sans direction, ni sens, Mersault a lui aussi la nausée. On peut également y voir une référence au mythe de Sisyphe, condamné à faire la même chose éternellement alors qu’elle est inutile. L’homme est condamné à vivre, dans sa passivité. Mersault est un homme athée, Dieu est perçu comme une raison trompeuse pour justifier l’existence humaine.

L’existence, c’est le fait d’être seul. On peut se certifier sur le fait d’exister en écoutant le son de sa propre voix, comme le fait Mersault La voix apporte la preuve de la solitude et de l’existence. Le « je » existe par la voix. Le récit est un genre narratif dont l’objet premier est de faire s’élever une voix car elle est l’existence du « je » qui s’énonce. Parler, c’est exister.

Par le sentiment de l’absurde, on va au plus profond de la solitude.

« Lui parti, j'ai retrouvé le calme. J'étais épuisé et je me suis jeté sur ma couchette. Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu'à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. A ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m'était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d'une vie elle avait pris un «fiancé», pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine » (Camus, L’Etranger, excipit).

L’importance de l’action est encore soulignée. Pour Camus, il faut agir pour ne pas mourir, pour ne pas être seul et pour affirmer son existence. C’est un cri de révolte contre l’ordre trompeur du monde, l’homme doit se révolter pour créer une humanité à venir, une humanité neuve. Il faut donc créer de nouvelles valeurs, un ordre sincère. Il faut créer un nouveau monde au nom de l’amour de l’humanité et de la justice. L’homme nouveau, c’est celui qui affirme son absolue liberté, celui qui doit tout détruire pour construire.

Par ailleurs, cela suppose que la littérature est un engagement dans le monde (politique, philosophique ou moral). L’écrivain au XXe siècle est un intellectuel, pour lui écrire, c’est agir, donc dire c’est faire. Il possède cette volonté de faire venir à l’existence, en utilisant la parole performative afin de bousculer l’ordre du monde pour le recréer. Les mots ne suivent pas servilement les choses, ils font le sens, ils le produisent, ils sont à l’initiative du monde.




 

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