RACINE Jean: Biographie, études et analyses des oeuvres

RACINE Jean

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Dans la France du XVIIe siècle, le théâtre est un formidable espace de représentation où les dramaturges dépeignent les mœurs de leur époque. La tragédie retrace le destin de personnages illustres soumis à l'ordre de la passion. Le cœur y triomphe sur la raison car il empêche toute forme de logique et crée un véritable bouleversement. L'individu est prisonnier de ses affects, dépourvu de toute maîtrise et se consume de désir. Il est ainsi condamné à l'errance et à la souffrance puisque l'objet de son affection est souvent inaccessible. À l'âge classique, la tragédie révèle les contradictions de l'âme humaine dans une esthétique à mi-chemin entre tradition et imitation. Ces quelques principes sont à l'origine de bon nombre d'ouvrages parmi lesquels figure l' œuvre de Jean Racine qui présente des héros déchus en quête de désir. Dans ses pièces, il est notamment question de fatalité et de responsabilité mais
également de solitude.


Les Tragédies raciniennes

La Thébaïde (1664) et Alexandre le Grand (1665) se ressentent encore beaucoup de l’influence de la tragédie romanesque et galante à la Quinault ou, pour la première, du théâtre politique de Corneille.

Andromaque (1667)
Sans renier tout à fait ces deux types de tragédies, Racine devait trouver sa propre manière avec Andromaque, pièce en laquelle on a coutume de voir sa première grande tragédie et où se mettent en place les thèmes récurrents de son théâtre. La grande nouveauté de cette pièce, pour les contemporains, était qu’elle s’écartait de l’héroïsme cornélien, d’inspiration très latine, pour se rapprocher davantage de la simplicité et de l’humanité du théâtre grec. Par rapport à la tragédie cornélienne, le théâtre de Racine marque donc une évolution vers une intériorisation du conflit tragique. Le ressort de la tragédie cornélienne était la gloire, et les personnages y étaient engagés dans une suite d’actions pleines d’énergie (meurtres, duels, etc.). Chez Racine, en revanche, l’amour-passion est la source de tous les conflits, la cause de l’aliénation des personnages et le responsable de leur perte.
La structure d’Andromaque est révélatrice à cet égard : l’action, qui se déroule à la cour de Pyrrhus, roi d’Épire, met en scène Oreste, de retour de la guerre de Troie, amoureux d’Hermione qui aime Pyrrhus, lequel brûle pour sa captive Andromaque, qui ne vit que pour le souvenir de son mari Hector, incarné dans son fils Astyanax. Ainsi chaque personnage est-il prisonnier d’un amour impossible car non partagé!; soumis aux affres de la jalousie, il ne trouve d’aboutissement à son destin que dans la mort (Pyrrhus et Hermione) ou dans la folie (Oreste). Andromaque, elle, soulève le peuple d’Épire contre les Grecs : l’action politique n’est donc pas absente d’Andromaque, mais elle n’est là que comme un révélateur du conflit des sentiments.
Andromaque remporta un succès public qui égala celui qu’avait eu Corneille, trente ans plus tôt, avec le Cid. C’est pendant les dix années qui suivirent cette représentation d’Andromaque que Racine écrivit les pièces que l’on considère généralement comme ses chefs-d’œuvre. Il se forgea avec elles une réputation d’immense auteur tragique, qui ne devait plus se démentir et qui lui valut d’être élu à l’Académie française en 1673.



De Britannicus à Bérénice
L’évolution essentielle entre l’intrigue de Britannicus et celle de Bérénice est l’intériorisation du conflit tragique. En effet, Britannicus (1669) est encore en grande partie une pièce politique, peut-être la plus politique qu’ait écrite Racine. Selon ses propres dires, l’auteur voulait y peindre en Néron «!un monstre naissant!», mais il s’agit d’un monstre politique (le tyran) en même temps que d’un monstre privé (qui veut assouvir son désir pour Junie). Britannicus, amoureux de Junie et aimé d’elle, y est la victime des manigances politiques et amoureuses de son demi-frère Néron et de sa mère Agrippine. Ici, la ruse et la barbarie, dissimulées sous le masque de la passion, sont victorieuses de l’innocence et de la naïveté de ceux qui voudraient échapper à la logique de l’univers tragique.

Dans Bérénice (1670), l’action extérieure se trouve quasiment réduite à néant : l’empereur romain Titus, qui aime d’un amour partagé la reine Bérénice, se voit contraint de renoncer à elle par la loi romaine. L’action de la pièce tient tout entière dans ce simple argument et développe les hésitations et les mouvements intérieurs des personnages. En parvenant à l’expression la plus pure de la solitude des héros, Bérénice est une pièce pleine de cette «!tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie!», pour reprendre les termes de la préface.

Bajazet
Dans Bajazet (1672), l’intrigue est contemporaine, située à Constantinople dans le sérail du sultan Amurat. Cette pièce fut pour l’auteur l’occasion d’un certain nombre d’innovations dans le domaine de la mise en scène, avec notamment l’utilisation de costumes orientaux qui obtinrent un vif succès auprès du public. Dans cette tragédie, les personnages principaux (les amants, Bajazet et Atalide, et la favorite du sultan, Roxane) sont victimes des desseins politiques du grand vizir Acomat. L’espoir de pouvoir composer avec le destin, entretenu par les amants, va se révéler vain, et seul Acomat échappe à l’effroyable bain de sang sur lequel s’achève la pièce.
Bajazet présente de façon très nette un certain nombre des traits récurrents de la tragédie racinienne : l’enfermement comme figure du destin tragique y est représenté par le sérail, lieu fermé, lieu interdit où se déroule toute la pièce. La cruauté y est également présente, cruauté des personnages envers eux-mêmes, mais aussi dimension sadique des relations de pouvoir et de passions (cruauté incarnée par exemple par le personnage de Roxane, qui souffle le chaud et le froid sur Atalide et Bajazet).

De Mithridate à Phèdre
Avec Mithridate (1673), Racine traite d’un thème qu’il approfondira quatre ans plus tard dans Phèdre : lorsqu’elle apprend la mort du roi du Pont, Mithridate, à qui elle était promise, Monime confesse son amour à l’un des deux fils de celui-ci, Xipharès. Mais l’annonce du décès se révèle bientôt n’être qu’une rumeur infondée, et l’amour de Xipharès et de Monime, dénoncé par le frère intrigant, Pharnace, prend un caractère scandaleux. La trahison de Pharnace, gagné à la cause des Romains, finit cependant par convaincre Mithridate mourant de sceller l’amour du jeune couple.

C’est dans cette perspective dramatique, bien plus que tragique, que s’inscrit également Iphigénie en Aulide (1674). Le sacrifice d’Iphigénie, et celui d’Achille, qui a pris les armes pour la défendre, y est en effet évité de justesse par la révélation des oracles, qui au moment du dénouement de la pièce, désignent comme victime Ériphile, une jeune intriguante éprise d’Achille. Ce drame rencontra un tel succès que l’auteur écrivit : «!Le goût de Paris s’est trouvé conforme à celui d’Athènes!; mes spectateurs ont été émus par les mêmes choses qui ont mis en larmes le plus savant peuple de la Grèce.!»

Avec Phèdre, en 1677, Racine signa peut-être son chef-d’œuvre. Phèdre, épouse de Thésée, croit ce dernier mort!; libérée par cette nouvelle, elle se laisse aller à avouer à Hippolyte, son beau-fils, la passion coupable qu’elle éprouve pour lui. Cet aveu met bientôt Phèdre dans une situation intenable : non seulement Hippolyte la rejette, mais Thésée, qui avait simplement disparu, est bientôt de retour. Phèdre est alors poussée au mensonge par Œnone, sa nourrice, et va au-devant de son époux pour accuser Hippolyte de la faute dont elle est coupable. Thésée maudit son fils et appelle sur lui la colère de Neptune, mais bientôt la nouvelle du suicide d’Œnone jette le doute dans son esprit. Cependant, il est trop tard : il apprend la mort d’Hippolyte, tué par un monstre marin, tandis que Phèdre, qui s’est empoisonnée, lui révèle avant de mourir la vérité sur cette tragédie, en assumant sa faute.

Le style de Racine

Si le classicisme tient tout entier dans l’art de la litote, pour reprendre le terme d’André Gide, alors les pièces de Racine sont l’exemple même du style classique. En effet, l’expression des sentiments les plus violents y emprunte ce que Léo Spitzer a appelé un «!effet de sourdine!», c’est-à-dire un ensemble de procédés et de marques stylistiques (ordre des mots, rythme, rime, figures) qui créent un effet de distance et d’atténuation dans l’expression de la passion violente ). Or, chez Racine, l’expression voilée des sentiments, qu’ils soient amour, haine, rage ou souffrance, bien loin d’en affaiblir la portée, ne fait que souligner leur violence. C’est pourquoi Racine, sous l’apparence d’un langage maîtrisé par la raison, reste pour la postérité, l’auteur des passions brûlantes.




 

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