CAMUS Albert: Biographie, éudes et analyses des oeuvres

CAMUS Albert

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Esthétique de son œuvre

Ce qui d’emblée se remarque chez Camus, c’est le choix de la mixité des genres d’écriture : roman, théâtre, essai philosophique, prose poétique. Cette mixité est d’ailleurs présente à l’intérieur de chaque œuvre car même son écrit le plus poétique, Noces, recèle déjà un grand nombre de ses idées philosophiques. Toute son écriture est en effet marquée par une réflexion philosophique, mais également par une réflexion politique, et c’est ce qui compte pour lui plus que le choix d’un genre particulier. Ce qui importe, c’est que la mixité des genres permet à Camus d’aborder un sujet de différentes façons pour en montrer toutes les possibilités littéraires.

Le premier volet de sa réflexion philosophique et politique est celle de l’absurde, notion qui est pour Camus inhérente à la condition humaine, et qui trouve sa plus forte représentation littérairement dans L’étranger, mais aussi théoriquement dans Le mythe de Sisyphe. Dans L’étranger, Meursault est un effet un personnage qui semble dépourvu de sentiments et d’actions, qui effectue tout machinalement, et c’est de ce fait qu’il est « étranger » à lui-même, et donc comme étranger au monde qui l’entoure. Ceci est d’ailleurs amplifié par le choix d’une écriture neutre, blanche, et éminemment descriptive, comme si elle était elle-même étrangère au personnage qu’elle décrit. Meursault est également incapable de donner une raison au meurtre qu’il commet sur la plage, de même quant au fait de ne pas pleurer pour la mort de sa mère, ce qui est justement la cause véritable de son exécution plus que le meurtre. Ce roman est donc l’illustration de la théorie de Camus selon laquelle l’Homme est voué, à une suite d’expériences absurdes impossibles à éviter (dont d’ailleurs la représentation la plus évocatrice est Sisyphe, expliquant le choix d’un essai à ce sujet). L’Homme est donc condamné à la fatalité, à l’absurdité de certaines de ses actions qui se présentent à toute vitesse, et ne lui laissent donc aucune possibilité de réflexion ou de choix. C’est par la prise de conscience de l’absurdité de sa condition que l’Homme parvient justement à la dépasser, c’est en vivant le temps présent qu’il peut aspirer au bonheur sans se soucier de ce qu’il risque de venir après. C’est pourquoi Meursault, par cette prise de conscience dans sa cellule avant son exécution, parvient à profiter de ses derniers moments et ainsi de devenir totalement libre et heureux.

Mais pour Camus, même si l’existence n’a pas vraiment de sens, et que la condition de l’Homme se fait dans l’absurdité, celui-ci ne doit pas s’enfermer dans l’apathie. Il lui en effet nécessaire de faire preuve d’action, d’où l’importance de l’engagement et de la révolte dans son œuvre, encore une fois illustrée par un diptyque, littéraire et théorique, La peste et L’homme révolté. La peste est un roman qui évoque, à Oran, dans les années quarante, la présence de rats porteurs de la peste. Dès la mort des premières victimes, les habitants placés en quarantaine et confrontés à leur sort présentent différentes formes de réaction : panique, indifférence, mysticisme ou résignation. Le docteur Rieux, bientôt rejoint par d’autres volontaires, décide de résister ; son petit groupe s’organise alors pour soulager la souffrance et combattre le fléau. Nous sommes face à un récit extrêmement symbolique car la peste est naturellement un emblème du mal sous toutes ses formes. Cependant, elle est ici présentée comme paradoxale, car malgré sa connotation négative, elle agit positivement puisqu’elle permet de mettre l’Homme face à lui-même, l’incitant au renoncement ou à la révolte face à l’absurdité et la fatalité de son existence. Cette réflexion sur la révolte et l’engagement est développée plus complètement dans l’essai l’Homme révolté (1951). Pour lui, la révolte naît au moment où quelque chose d’humain est opprimé (la tyrannie, la servitude, la violence…). C’est parce que la révolte est l’action nécessairement limitée d’un individu (et non pas un principe abstrait), qu’elle représente pour lui, la seule « valeur médiatrice » permettant de dépasser l’absurde, mais si ce dépassement n’est souvent qu’éphémère.

Cette réflexion, à la fois philosophique et politique, source de toute l’esthétique de Camus, se combine à une vision nostalgique, idyllique de l’Algérie, perçue comme le berceau des sensations : couleurs, parfums, sons… C’est le monde du bonheur total, qui semble permettre au mieux de profiter de l’instant présent et d’échapper à l’absurdité de l’existence. Et c’est justement dans Le premier homme que cette vision sublime de la terre méditerranéenne est le plus indéniablement source de renouveau, de rencontre avec l’instant sensuel et sensitif le plus véritable, et donc le plus à même de mettre fin à l’absurdité de l’existence et à la révolte nécessaire à son dépassement.




 

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