BEAUMARCHAIS: Biographie et analyses des oeuvres

BEAUMARCHAIS

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Comique et musique


Le théâtre européen, par ses racines grecques, a un lien originel avec la musique, mais bien moins organique, on l'oublie parfois, que le cinéma (irrésistiblement tenté d'orchestrer, après coup, jusqu'à ses formes muettes). Le Barbier de Séville touche à la musique par sa première destination, l'Opéra-Comique; par l'emploi du chant et des instruments dans la pièce par son retour sur la scène lyrique, dès 1782, avec un opéra de Paisiello, Il Barbiere di Siviglia, créé à Saint-Pétersbourg, et surtout le fameux opéra de Rossini, joué d'abord à Rome en 1816, trois ans avant Paris. Le Mariage de Figaro, avec Mozart, et même La Mère coupable, avec D. Milhaud, connurent un sort aussi enviable. La Lettre modérée sur la chute et la critique du « Barbier de Séville » aborde brièvement cette question, et celle de la danse, dans sa demière partie, avant de la traiter plus à fond dans la préface de Tarare, manifeste en faveur d'un renouvellement énergique de l'opéra (Tarare, livret en vers de Beaumarchais, musique de Salieri, 1787). On n'oubliera pas que Diderot s'occupe aussi de la musique et de la danse dans ses réflexions de 1757-1758 sur le théâtre, parce que l'opéra est un art dramatique, et qu'il impli­quait de la danse (Diderot, Entretiens sur le Fils naturel ; De la poésie dramatique). Dans la préface du Barbier, Beaumarchais s'en prend - il n'est pas le seul ni le premier - à la « musique dramatique » française (opéra et opéra-comique), incapable, selon lui, de produire « un véritable intérêt [de l'émotion] ou de la gaieté franche ». Les musiciens se sont éloignés «de la nature », se soumettent à des lois artificielles qui donnent trop à la virtuosité musicale aux dépens des paroles, c'est-à-dire du mouvement dramatique et de l'expression des passions. Comme le dira la préface de Tarare, « il y a trop de musique dans la musique du théâtre » ; la musique devrait servir les mots, à la façon du vers dans la tragédie et la comédie: « Je pense donc que la musique d'un opéra n'est, comme sa poésie, qu'un nouvel art d'embellir la parole, dont il ne faut point abuser. » Cette prise de position, conforme en gros à celle de Diderot et des partisans de la musique italienne, ne conceme donc pas directement Le Barbier de Séville, où la musique ne saurait prétendre supplanter le texte et tirer l'oeuvre vers l'opéra-comique. L'interlocutrice fictive de Beaumarchais, en affirmant que sa « pièce est d'un genre à comporter de la musique », lui reproche d'en avoir fait une comédie plutôt qu'un opéra-comique, contrairement à sa « première idée ». C'est à ce regret que l'auteur répond, et non pas sur l'emploi de la musique dans Le Barbier de Séville, qui n'a rien de révolutionnaire. Si la musique dramatique, au gré de Beaumarchais, nuit d'ordinaire à l'action et aux paroles, Le Barbier, aux yeux des amateurs de théâtre chanté, ne lui laisse qu'un rôle second, conforme à la tradition du théâtre parlé européen. Il serait donc absurde de considérer cette comédie, de surcroît en prose, comme un modèle de l'opéra-comique rêvé par Beaumarchais, même Si l'imbrication étroite de la musique et de l'action peut en donner l'idée.

Beaumarchais, qui enseigna la harpe aux filles de Louis XV et collabora de près avec Salieri sur Tarare, a-t-il écrit la musique du Barbier ? Il semble avéré que la musique d'entracte, entre les actes III et IV, revient au premier violon de la Comédie-Française. Il paraît raisonnable de penser que Beaumarchais a travaillé avec lui pour les chansons, l'un proposant les airs aux quels il avait déjà songé pour son défunt opéra-comique, l'autre les orchestrant. Sur une partition conservée à la Bibliothèque nationale, on peut lire en effet cette inscription manuscrite: « Par M. de Beaumarchais, paroles et musique ».

Par Jean Goldzink




 

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