APOLLINAIRE Guillaume: Biographie, études & analyses

Apollinaire : Son oeuvre...

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Français de langage, de culture et d'élection, Guillaume Apollinaire est le plus original, le plus divers, le plus grand aussi des poètes qui ont oeuvré à la rénovation de la poésie en France au début du XXe siècle. En vingt ans, il a parcouru tout le champ de la sensibilité et de l’expression poétique, de la fin du symbolisme à la veille du surréalisme. Ayant une curiosité foisonnante, il se prêta à l'errance comme à l'expérimentation dans le domaine de l'écriture.
Ses amis ont tous parlé avec admiration de l’étendue de ses lectures et de sa mémoire inépuisable. André Breton lui-même reconnut cette vaste culture : «Il avait pris pour devise :”J'émerveille” et j’estime encore aujourd'hui que de sa part ce n'était trop prétendre, muni des connaissances étendues qu'il était presque seul à avoir dans des domaines spéciaux (les mythes, tout ce qui ressortit à la grande curiosité, aussi bien que tout ce qui gît dans l'enfer des bibliothèques) et ne se montrant pas moins tout ouvert sur l'avenir.» Sa curiosité allait particulièrement vers le Moyen Âge qui lui a permis d’enchanter sa vie.
Il insista sur l'importance poétique du savoir. Mais il se donna la liberté de rompre avec la tradition comme la liberté de la conserver, car il ne rejeta pas sans appel l'héritage du passé, sachant que c’était grâce à lui qu’il pouvait paradoxalement pousser le plus loin ses trouvailles. Il n'abandonna jamais complètement la poésie dite classique, restant fidèle au romantisme (on a pu dire de lui qu'il fut le dernier en date de nos grands poètes romantiques), se montrant à la fois fidèle et rebelle aux maîtres symbolistes de ses débuts. Ainsi, dans ses poèmes passèrent souvent des échos de tous les grands poètes qui l'avaient précédé, depuis Villon et Ronsard jusqu'à Verlaine, Rimbaud et Mallarmé.
Il se donna surtout la liberté de transformer la poésie. Il s’affranchit très vite de toute influence d’école pour enrichir cet univers de modulations d’une résonance unique, d’images insolites et neuves. Il pressentit hardiment par quelles voies il fallait que s’engageât la poésie moderne (autonomie des images, rupture de la syntaxe, adoption du vers libre, abandon de la ponctuation, art du collage littéraire, modernisme du vocabulaire) et réalisa le miracle d’une poésie ouverte à tous les niveaux de lecture, de la plus immédiate à la plus savante. Cela lui fit aussi afficher de trop voyantes avant-gardes, prendre parti dans maintes controverses littéraires, passer pour un génie fantaisiste et mystificateur. Ses tentatives d'une poétique nouvelle s'accompagnèrent inévitablement de faux pas et laissèrent des scories. Il reste qu’il participa à l'éclosion d'une modernité qui eut un impact durable tout au long du siècle Et toute la poésie moderne, dans ses tendances diverses, se réclama de lui.
Mais, sous la hardiesse des formules nouvelles, on décèle toujours des thèmes éternels, car sa poésie lui permit avant tout de dire une souffrance personnelle.

Critique d’art, il fut l’un des initiateurs les plus perspicaces de l’art moderne, non seulement le défenseur du cubisme et de la peinture nouvelle, mais le témoin éclairé de toute la production de son temps. Et son oeuvre de conteur et de dramaturge, de journaliste aussi, n’a pas fini de surprendre.



Résumés de quelques oeuvres

    Les Onze mille verges (1907)
      Apollinaire écrit (certainement en collaboration) plusieurs ouvrages pornographiques, ainsi que le catalogue descriptif de "l'Enfer de la Bibliothèque Nationale".
      Les Onze mille verges sont un mélange nauséeux de déviations sadomasochistes, où la vie humaine n'a aucun prix. Où est le poète dans ce fatras? On pourrait le retrouver dans une lecture au second degré d'un monde fou qui ressemble de manière effrayante au nôtre, un monde d'angoisse comme sauront en évoquer les Surréalistes ou Michaux.
    L'enchanteur pourrissant (1908)
      Aventures de Merlin l'enchanteur et de la fée Viviane sur le mode parodique.
    L'hérésiarque et Cie (1910)
      Huit nouvelles qui allient le fantastique, l'humour et la gauloiserie souvent vulgaire et morbide. Elles évoquent pour la plupart la religion et l'inadaptation du dogme catholique et du clergé (Pape compris) à la complexité des vices humains, mais sans esprit "anticlérical". Opposition entre des thèmes prosaïques, sordides, et un style très soigné. "L'hérésiarque" est le titre de la première nouvelle. Ce livre (qui demeure la meilleure prose d'Apollinaire) reçut quelques voix pour le Prix Goncourt.
    Alcools (1913)
      Sans doute le recueil poétique majeur du début du XXème siècle; influence considérable sur la poésie surréaliste et ultérieure. Apollinaire rassemble ses poèmes composés entre 1898 et 1913. La drôlerie côtoie la gravité, mais jamais le poète ne se prend trop au sérieux, même dans le témoignage émouvant de ses souffrances existentielles et amoureuses. Poèmes les plus célèbres :"Zone" , "le Pont Mirabeau" (écrits après la rupture avec Marie Laurencin), "La chanson du mal-aimé", et les poèmes de Rhénanie. Apollinaire évite le lyrisme "hautain" et hermétique des poètes symbolistes, pour un lyrisme du cœur, avec les mots de tous les jours. Sauf exceptions, Apollinaire respecte la syntaxe, et prend des libertés avec les usages de la versification (il n'est certes pas le premier); en revanche, sa décision, au dernier moment, de supprimer toute la ponctuation du recueil a provoqué de vifs débats.
    Les peintres cubistes (1913)
      Essai sur l'art, accompagné de reproductions de tableaux. Apollinaire présente et défend les "peintres nouveaux": Picasso, Braque, Laurencin, Léger, Picabia... Il analyse et fait l'éloge du cubisme. Ce livre a fait beaucoup pour imposer le cubisme comme mouvement artistique majeur du début du 20ème siècle.
    Poèmes à Lou 1914-1915
      Poèmes à Lou est le fruit d'une relation brève et ardente avec Louise de Coligny-Châtillon, dite Lou, une belle aristocrate rencontrée à Nice en 1914. Elle fera languir son prétendant amoureux fou d'elle sans jamais céder. Apollinaire s'engage alors dans le régiment d'artillerie de Nîmes. Sa vie dans les tranchées lui inspirera une correspondance passionnée, à laquelle Lou succombera, puis résistera, en se jouant avec légèreté de ses sentiments. On lit un Apollinaire spontané. Une verve d'épistolier qui réconcilie la poésie avec la narration et la vie quotidienne. Elle s'épanouit en une allègre assurance dont il est fier, alors que ce côté original n'en est pas moins qu'une facilité. À mi-chemin entre la prose et le vers, il joue de tous les registres montrant ainsi une réelle audace et une incroyable invention.
    Le poète assassiné (1916)
      Le héros de ce récit ressemble beaucoup à Apollinaire : enfant illégitime, intelligent, poète reconnu mais mal-aimé, grand voyageur. Mais le peuple méprise le poète, et ne célèbre qu'un savant; outré, le poète le défie, mais il est massacré. Ce n'est qu'après sa mort qu'il sera "divinisé". La fin du récit (une sorte d'épilogue?), "Cas du brigadier masqué, c'est à dire le Poète ressuscité", joue sur le mode comique et absurde le retour des personnages du récit.
    Les mamelles de Tirésias (1917)
      pièce de théâtre au style héroï-comique (c.à.d intrigue et situations banales sur un ton grandiose). Absurdité, histoire complètement décousue... Jarry avec son Ubu Roi l'avait déjà expérimenté. Tirésias et sa femme, hermaphrodites, font 40000 enfants à Zanzibar etc... Décors de Picasso; comédiens: Apollinaire lui-même et des amis poètes.
      C'est dans la préface de cette pièce, écrite en 1917, avant la naissance du Surréalisme proprement dit, qu'apparaît, pour la première fois, sous la plume d'Apollinaire, le terme de" Surréalisme":" Quand l'homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir." Apollinaire représente ici, sous un mode ludique, un phénomène de transsexualisme, la métamorphose de Thérèse en homme. Les ballons qui s'échappent vers le ciel, de plus en plus nombreux, symboles des seins à jamais perdus de Thérèse, nous entraînent, par un phénomène de prolifération, dans le monde burlesque de la farce. Tandis que Thérèse, la virile héroïne devenue Tirésias, contemple avec satisfaction les ballons, son mari, qui ne veut pas que la terre se dépeuple, met au monde quarante mille quarante-neuf enfants sous les yeux étonnés d'un habitant de Zanzibar. Les fonctions des deux sexes ont été permutées de façon cocasse, sans qu'aucune angoisse naisse de cette étrange métamorphose. Comme Jarry, avec qui il était très lié, Apollinaire abandonne toute logique dans la construction dramatique
    Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée (1918)
      Recueil de poèmes très courts (quatre ou cinq vers) à propos d'un animal. Ton familier, souvent archaïsant (au Moyen-Age, les bestiaires énuméraient les connaissances, plus ou moins exactes, que l'on avait sur les animaux). En peu de mots, un portrait évocateur d'un animal, et surtout des symboles du poète et de son rapport au monde. La figure mythologique d'Orphée, qui charme les dieux, les humains et les animaux, est le symbole universel du poète; même sa fin cruelle (le poète à la lyre déchiqueté par les femmes thraces, ses restes jetés dans un fleuve) fait écho aux obsessions d'Apollinaire, déchiré par ses amours; le fleuve (et non pas le pont) est, dans la poétique d'Apollinaire, le symbole de l'amour.
    Calligrammes (1918)
      Recueil posthume. Les "calligrammes" (poèmes dont les phrases, par leur disposition typographique, dessinent l'objet-thème du poème) ne sont qu'une minorité, et plutôt un amusement d'Apollinaire que la fondation d'un nouveau genre poétique. D'abord intitulés "Idéogrammes lyriques" ces poèmes apparaissent comme une recherche novatrice pour faire du texte le lieu d'une rencontre entre écriture, musique et peinture. Tous les poèmes ont été écrits pendant la guerre (partie "Poèmes de guerre"). La simplicité ou la drôlerie des textes des "poèmes-conversations" disent pudiquement, entre les lignes, le déchirement du poète.
    Le flâneur des deux rives (1918)
      Promenades au hasard dans Paris. L'observation attentive de faits et de lieux banals annonce le surréalisme, qui dénichera de la poésie dans les objets les plus dérisoires et méprisés.





 

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