MALHERBE François de: Biographie et analyses des oeuvres

MALHERBE François de

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Depuis Boileau, et par une suite naturelle de l’influence qu’il eut pendant plus de deux siècles sur notre histoire littéraire, il a été admis que Malherbe était le père de notre poésie et, plus généralement, de toute notre littérature classique. Même ceux qui, aujourd’hui, ne partagent plus cette vue, continuent le plus souvent d’admettre qu’il est, par excellence, classique, et que son œuvre s’oppose donc à l’esthétique baroque. Certains, pour mieux le comprendre, l’isolent de l’histoire et mettent l’intérêt de son œuvre dans un effort de création pure où les recherches de style et de métrique tiennent toute la place. Il appartient à l’histoire de fixer l’opinion sur ces problèmes.

Le « poète du Louvre »
La vie de Malherbe explique la différence que l’on décèle entre les quelques poésies qu’il compose avant 1605 et tout ce qui est postérieur à cette date. En fait, l’œuvre véritable de Malherbe, celle qui le caractérise et a marqué l’histoire de notre poésie, ce sont les pièces de vers qu’il a composées comme poète de cour, ou, comme on disait plus précisément, comme « poète du Louvre ».
Ce sont, d’abord et avant tout, des odes à sujet politique. Quand le roi part à la tête d’une armée pour rétablir l’ordre en Limousin ou à Sedan, quand Marie de Médicis s’efforce de calmer l’agitation des princes en 1614 ou bien s’en va marier son fils à la fille du roi d’Espagne, quand Richelieu se dispose à écraser les protestants à La Rochelle, Malherbe écrit des odes qui développent la justification de la politique royale et en annoncent d’avance la victoire. Parfois, moins glorieusement, sa tâche consiste à servir, dans quelque sonnet, les amours du roi ou bien ceux de quelque grand seigneur de la cour. Ou bien, quand la régente prépare une de ces fêtes somptueuses qui sont alors en pleine vogue, Malherbe compose une entrée de ballet qui lui permet d’ailleurs de glisser de nouveaux éloges pour la monarchie française.
À cette poésie politique, il convient d’associer étroitement la poésie religieuse. Dans la France de Henri IV et de Marie de Médicis, la religion est liée à l’ordre monarchique. Ce n’est pas tellement le sentiment religieux qui importe, mais l’affirmation d’un ordre.
Ces conditions historiques et concrètes, dans lesquelles s’est créée l’œuvre de Malherbe, en expliquent les caractères. Elles font apparaître l’injustice des reproches qui lui ont été souvent adressés.
On est frappé par l’outrance des éloges que Malherbe fait des grands de ce monde. Leur fausseté gêne le lecteur moderne. On sait trop bien qu’ils n’étaient ni des dieux, ni même des demi-dieux. La monarchie française n’était pas destinée à régner sur Memphis ni sur les régions du Danube. Même outrance, et pour les mêmes motifs, dans l’évocation des événements. La moindre escarmouche sur nos frontières devient une grande bataille où les rivières ont débordé sous la masse des cadavres ennemis. Mais qu’on se garde de reprocher au poète un manque de sincérité. Il obéit à une conception de la poésie qui lui est imposée par la société dans laquelle il vit. S’il ne s’engage pas dans ce qu’il écrit, c’est que la France monarchique ne demande aux poètes ni convictions, ni confidences, mais attend d’eux l’expression éloquente des valeurs qu’elle restaure à grand-peine. Et s’il pratique sans scrupule l’hyperbole la plus extravagante, c’est que les hiérarchies civiles et religieuses veulent subjuguer les esprits et frapper les imaginations. Au surplus, Malherbe était, à sa façon, sincère. Il croyait que l’ordre politique est la plus forte des nécessités, que les rois et les princes peuvent seuls le soutenir. Sa correspondance prouve qu’il a véritablement adhéré à la politique de Henri IV et à celle de Richelieu, qu’il a cru sincèrement que Marie de Médicis incarnait l’ordre et la paix. Son œuvre est une rhétorique, et son temps voulait qu’elle le fût. Mais, sur l’essentiel, c’est une rhétorique au service d’un ordre auquel le poète est attaché.

Équilibre et clarté
Cette même volonté d’ordre, ce besoin de structures fortement marquées expliquent qu’il existe une doctrine de Malherbe.
Elle s’est constituée de bonne heure puisqu’en 1606, déjà, il écrivit un commentaire des œuvres de Desportes qui était l’application de ses principes. Il s’y tint jusqu’à la fin de sa vie. Il les enseignait à des jeunes gens qui l’avaient pris pour maître. Après 1615, il fit davantage. Il reçut régulièrement chez lui, non seulement des poètes, mais des gens de lettres occupés surtout de prose. À partir de ce moment, il ne fut plus seulement un maître de poésie, mais un maître de la langue.
Replacée dans l’histoire, sa doctrine revêt une signification précise. À cette époque où, en Italie, les moderni  s’opposent aux antiquari , Malherbe est un moderne. Il a rompu avec la poésie des humanistes, et Ronsard n’est plus pour lui qu’un auteur dépassé. Chez les Anciens, il n’apprécie ni Homère ni Virgile, mais les auteurs en qui les modernes retrouvent avec raison leur propre goût, Sénèque le Tragique, Ovide, Martial, et par-dessus tout Stace.
C’est dire que Malherbe n’est pas pleinement un classique. On serait en droit plutôt de l’appeler baroque puisqu’il partage avec les baroques le goût de l’outrance, la recherche des extrêmes ingéniosités. Pourtant, on aurait tort de le rattacher aux baroques pour les vers qu’il compose après 1605, puisqu’en principe il ne se laissait pas entraîner aux excès, d’ailleurs savoureux, de Laugier de Porchères par exemple.
Ce n’est donc pas par le sens de la mesure ni par la discrétion des moyens qu’il s’est imposé. C’est par un sentiment admirable de l’équilibre des formes et une exigence de netteté poussés à l’extrême. Il construit ses phrases et ses strophes avec une rigueur inconnue avant lui. La combinaison des mètres et des rimes n’est pas pour lui un problème accessoire de l’art poétique, elle n’est pas davantage un jeu gratuit. Elle lui fournit le moyen d’affirmer sa pensée avec plus de force.
C’est pour la même raison qu’il attache tant d’importance à la langue. Moderne, il écarte les mots et les tours qui, dans la poésie antérieure, ont vieilli. Il n’admet pas qu’une expression soit légitime pour cette seule raison qu’elle nous vient des Grecs et des Latins. Il ne connaît que l’usage vivant : non pas celui des professeurs de l’Université, non pas le jargon des métiers, ni celui des gens de robe, non pas, malgré sa boutade trop célèbre, celui des crocheteurs du port au Foin, mais la langue de la belle société, celle des salons, celle de Mme de Rambouillet.
Cette doctrine très simple s’imposa. Malherbe vivait encore qu’il était considéré comme le maître de la nouvelle poésie et de la langue française. Chapelain, Guez de Balzac, Vaugelas n’avaient pas d’autre doctrine que la sienne. L’Académie française, fondée six ans après sa mort, a d’abord été le rassemblement de ses disciples.




 

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