L'épistolaire

L'épistolaire

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Définitions
Étymologiquement, le mot épistolaire vient d’un verbe signifiant « envoyer vers ». Un texte épistolaire se signale donc par une adresse explicite et se présente comme un discours tourné vers une personne absente, afin de suppléer à cette absence.
L’épistolaire est une pratique à fonction sociale et recouvre toutes les variétés de notre rapport à l’autre, qu’il soit de nature professionnelle ou intime. Cette pratique sociale peut entrer de deux façons dans le domaine littéraire :
– le texte peut changer de destinataire et de destination quand une correspondance privée est publiée ;
– la lettre peut aussi dès le départ être constituée comme objet fictif, et s’inscrit alors dans un genre déjà établi (roman, essai, écrit autobiographique, pamphlet). À la codification sociale se joint alors une codification littéraire.

Des cas mixtes sont évidemment possibles et nombreux.

La pratique épistolaire instaure dans son usage littéraire une double énonciation.

Histoire
Dans l’Antiquité, il a eu un rôle considérable, par les lettres de Pline, Cicéron, Sénèque.

En France, l’épistolaire remonte d’abord à une tradition savante. Au Moyen Âge, il existe seulement des missives d’ordre officiel, rédigées par des clercs en fonction d’un canevas préétabli. Au XVIe siècle, la lettre devient un moyen d’échange entre des milieux savants qui communiquent en latin à travers toute l’Europe humaniste. Mais, compte tenu de la lenteur des courriers, ces lettres sont longues et leur texte est contraint à être clos sur lui-même. Cependant, Érasme dans son De conscribendis epistolis, tout en gardant comme cadre les principes de l’art oratoire et épistolaire antique et la tradition de la lettre savante, solidement argumentée et traitant de sujets philosophiques, assouplit la forme de la lettre : pour lui, elle peut traiter toutes sortes de sujets et c’est à l’épistolier à s’y adapter par une rhétorique pertinente.
À la même époque, les débats entre théologiens favorisent l’apparition de lettres polémiques jouant sur des destinataires fictifs. La lettre devient ainsi une forme privilégiée du débat d’idées aux XVIIe et XVIIIe siècles : la lettre ouverte illustrée par Les Provinciales (Pascal) ou les Lettres philosophiques (Voltaire), puis rendue célèbre au siècle suivant par le J’accuse de Zola, se situe dans cette lignée ; elle est cousine de l’essai et du dialogue d’idées.
Au XVIIe siècle, un plus large accès de la population à l’écriture et à la lecture fait de l’épistolaire une pratique sociale étendue. Un réseau national de courriers royaux, créé par Henri IV et amélioré par Richelieu, permet d’établir un véritable dialogue entre les correspondants. La lettre devient alors aussi un substitut de la conversation mondaine. Elle est en ce cas plus familière, plus mêlée dans son contenu et reflète l’esthétique mondaine et galante de l’époque. L’essentiel est de plaire et de piquer l’intérêt par la façon de raconter. Elle devient donc très vite un art.
Avec la publication posthume des Lettres de Voiture, la lettre privée se constitue en variante ambiguë de l’œuvre littéraire. La correspondance de Madame de Sévigné connaît le même destin.
Au XVIIIe siècle, l’émergence de la sensibilité individuelle donne à la correspondance un caractère intime : confidences, effusions lyriques, autoportraits.
C’est aussi à cette même époque que le roman par lettres, inauguré au siècle précédent par Guilleragues dans les Lettres portugaises, connaît une faveur considérable et produit les deux grands romans du XVIIIe siècle : La Nouvelle Héloïse (Rousseau) et Les Liaisons dangereuses (Laclos). Il est significatif que, dans ces trois œuvres, la correspondance fictive soit présentée comme un recueil de lettres authentiques dont l’auteur du livre ne serait en fait que l’éditeur. Il faut noter ensuite le développement des éditions de correspondances d’écrivains ou d’artistes : lettres de Voltaire, de Diderot, plus tard de Balzac ou de Proust, etc. ou celles de personnages plus obscurs ayant vécu des circonstances exceptionnelles (correspondances de poilus par exemple).

Avec les publications de correspondances d’écrivains, de savants, d’artistes, la lettre tend à apparaître de nouveau, en partie comme une affaire de lettrés justement. D’autant que la correspondance privée a été concurrencée par le téléphone. Mais elle connaît avec le courrier électronique une seconde vie. Si la messagerie électronique, par manque de confidentialité, ne supplante pas la lettre d’amour, elle se prête à des échanges plus libres dans la forme et dans le contenu. Elle commence à créer elle aussi ses codes et son langage. Elle redonne sa place à
l’échange écrit, et donc son importance à l’épistolaire.

Qu’elle soit fictive ou authentique, une correspondance se donne pour vraie. On pourra réfléchir au contrat de lecture qui en découle et à ses conséquences sur les genres et les registres que l’on choisira d’examiner : deux registres sont particulièrement riches, dans ce domaine, le polémique et le lyrique. Dans le roman ou l’autobiographie par lettres, le lecteur partage une confidence ou surprend un secret, observation privilégiée qui peut aller jusqu’au voyeurisme. Dans la littérature épistolaire polémique, la fiction peut renvoyer à la réalité, la réalité ressembler à la fiction. La lettre que nous lisons, alors qu’elle porte l’adresse d’un autre destinataire, repose aussi sur une situation de double énonciation qui peut se prêter particulièrement à l’ironie.

Argumentation et effets sur le destinataire
Écrite à un destinataire, la lettre est aussi écrite pour lui. Elle tient compte de ses sentiments, de ses valeurs, de ses cadres de pensée soit pour s’y conformer, soit pour s’y confronter. La participation que lui autorise le scripteur est dès lors essentielle : il peut être un simple médiateur avec le public que l’on vise effectivement ; il peut être convoqué pour nourrir et relancer un débat ; il peut être l’interlocuteur d’une conversation mondaine ou l’être aimé dont on souhaite conjurer l’absence par l’écriture. La relation à l’autre se fait dans un espace plus ou moins intime, sur tous les modes, de la connivence à l’affrontement.
Parler à l’autre, c’est s’efforcer d’agir sur lui, qu’il s’agisse de le convaincre, de le séduire ou de le persuader. Le roman par lettres permet d’étudier comment le discours se fait action, manipulation parfois. Pour avoir des effets différés, l’épistolaire n’en est que plus intéressant : que l’on songe au cas extrême de la lettre posthume. Des correspondants partagent aussi un savoir que le lecteur ne possède pas en totalité et qu’il est amené à reconstruire à travers des données fragmentaires, subjectives, parfois contradictoires lorsque l’œuvre joue sur des effets de polyphonie.
La lettre joue sur l’idée d’authenticité – vraie ou feinte – d’un « je» qui se livre ou que l’on surprend. Aussi la matérialité même du courrier produit-elle des effets dont on joue : délais de réception, silences, lettres perdues, lettres-objets que l’on promet à la destruction rageuse ou à la vénération fétichiste.
Enfin écrire une lettre, c’est souvent parler de lettres, parfois même les donner à voir par une graphie particulière ou une disposition étudiée dans l’espace de la page.

Étude des mouvements littéraireset culturels
La lettre est d’abord riche en informations saisies sur le vif. Lettres familières, correspondances d’écrivains ont le prix des témoignages, la saveur des reportages. Elles nous renseignent sur les événements de l’histoire, les faits de la vie littéraire et artistique, la gestation d’une œuvre, la personne de l’écrivain. Cette enquête dépasse cependant la simple curiosité et favorise une mise en perspective historique. Le lecteur d’aujourd’hui ne s’attache pas aux mêmes détails que celui d’hier, n’a pas la même lecture des événements, ni la même sensibilité. L’épistolaire peut donc être associé à toute étude de mouvements littéraires et culturels.
Cependant certains cas sont plus particulièrement significatifs. C’est dans la littérature épistolaire que se sont développés les grands débats d’idées du XVIIe et du XVIIIe siècle : polémiques entre jésuites et jansénistes, plaidoyers pour la tolérance, débats sur la valeur du luxe et de la civilisation ou sur la moralité du théâtre, essais sur une nouvelle conception philosophique de l’homme. Les liens avec les mouvements littéraires et culturels de l’humanisme, du baroque et des Lumières sont ici patents. L’étude de l’épistolaire est donc à associer avec ces éléments d’histoire littéraire.
Enfin, autant que par son contenu, la lettre donne à lire une culture par sa forme et ses choix esthétiques : elle manifeste les usages sociaux, les modèles et les représentations d’une époque donnée.

Étude du style
Dans sa forme la plus répandue, l’épistolaire tient lieu de conversation. Tous les procédés par lesquels s’établit une interaction appellent donc une attention particulière : les apostrophes, les incises, les interrogations, les reprises de la parole d’autrui, les relations entre les pronoms personnels, non seulement pour créer un échange mais pour faire entrer le destinataire dans une sphère commune d’intérêt. Les formes de déclaration expressive, notamment les effets d’emphase, appellent aussi une analyse stylistique dans l’usage épistolaire : utilisation du mode impératif, effets d’insistance par la construction syntaxique ou les répétitions. On peut à ce propos sensibiliser les élèves à la ligne mélodique d’un discours : les intonations, l’accentuation dépendent de la construction syntaxique, de l’équilibre d’une période. Il en résulte des effets rythmiques qui peuvent sous-tendre l’organisation du discours, en particulier dans le registre lyrique.
Souvent, la lettre familière s’efforce à la spontanéité de l’échange oral par une composition où
l’affectivité l’emporte sur la construction logique. Les effets de rupture dans une progression thématique et la parataxe se veulent ainsi le signe d’une plus grande liberté. Cependant, certaines licences syntaxiques ne procèdent pas d’un relâchement mais constituent des écarts par rapport à la norme, au service de l’expressivité, voire d’un usage poétique de la langue : pour le souligner, leur analyse peut être liée à celle du vocabulaire en étudiant les nuances et la variété du lexique affectif.




 

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