Le théâtre contemporain

Le théâtre contemporain

article

Le théâtre fait l'objet d'une nouvelle réflexion au début du XX° siècle, qui remet en cause les conventions de la scène à l'italienne. En effet, le cinéma naissant concurrence le théâtre là où il était parvenu, dans la production de l'illusion. Comme lui, mais de façon plus complète, il sépare totalement le spectacle de la salle. L'écran remplace le " quatrième mur " du théâtre. Le réalisme cinématographique va plus loin dans la reproduction de la réalité que ne pouvaient l'espérer les metteurs en scène naturalistes. Cette concurrence entraîne le déclin du théâtre. De nombreuses salles ferment : aux USA, on passe de 5 000 salles au début du siècle à 231 en 1946, essentiellement à New York et dans sa région. Cette situation amène à repenser la spécificité théâtrale. Comparé au cinéma, le théâtre n'est-il pas caractérisé par la présence humaine ? Ne faudrait-il pas retrouver le rapport qui lie à la fois la scène et la salle et les spectateurs entre eux ? On se penche sur les formes du passé : le théâtre grec, le théâtre médiéval comme le théâtre élisabéthain établissaient un contact humain dont seule la scène à l'italienne s'est éloignée. Le regard que l'on porte sur l'Extrême-Orient conforte cette idée. Le théâtre chinois a quelques ressemblances avec le théâtre élisabéthain avec sa scène surélevée couverte d'un toit soutenu par deux colonnes, que le public entoure sur trois côtés. Dans le même esprit est la scène japonaise du théâtre Nô avec ses quatre colonnes, prolongée par un pont qui fait traverser la salle aux acteurs entrant en scène. Ce sont des théâtres symboliques reposant sur la reconnaissance des signes. Toutes ces formes théâtrales avaient en commun une scène ouverte, qui matérialisait un rapport actif entre la scène et la salle. C'est désormais dans ce choix que vont se situer tous les projets contemporains, malgré leur diversité. Les plus importantes pistes de recherche pour un théâtre contemporain ont été envisagées dans les années vingt en France, en Allemagne et en URSS. C'est à celles-ci que nous nous attacherons plus particulièrement.

L'ouverture

La voie dans laquelle s'engagent des metteurs en scène et des architectes est celle d'un retour au lien entre la scène et la salle. Il faut en finir avec la scène fermée, briser le " quatrième mur ". Il faut rouvrir la scène sur le public. En France, le metteur en scène Jacques Copeau, secondé par l'acteur Louis Jouvet, cherche une théâtralité originelle. En 1913, il apporte quelques aménagements au théâtre du Vieux Colombier. Il en fait une " scène architecturée " inspirée à la fois du théâtre grec et du théâtre élisabéthain : il supprime la rampe qui marquait la frontière entre deux mondes pour les réunir par quelques marches et un proscenium. Dans le même esprit, en Allemagne, l'architecte Max Reinhardt construit à Berlin en 1919 un théâtre qui cherche ses principes dans l'antiquité grecque : c'est un amphithéâtre, avec son orchestra. Le théâtre Meyerhold à Moscou prend comme base également l'amphithéâtre grec, avec des espaces de jeu qui pénètrent au milieu des gradins. Comme dans le théâtre Nô, l'entrée des acteurs se fait par un espace intermédiaire vu du public : ici, ce sont des balcons et des escaliers. L'évolution de la dramaturgie accompagne l'évolution architecturale : Brecht s'oppose à la séparation scène/salle génératrice d'illusion du théâtre aristotélicien et opte pour le " théâtre épique ". C'est un théâtre du récit, mettant à nu les conventions théâtrales et ainsi désaliénant le spectateur. Sur le proscenium rétabli, un récitant, forme contemporaine du chœur antique, fait le lien entre le public et la fable. Il est un facteur important de " distanciation ". Les écrits théoriques et les expériences du suisse A. Appia et de l'Anglais Gordon Craig vont avoir une influence décisive autant sur les metteurs en scène que sur les architectes les plus novateurs. Ils affirment notamment l'unité de la scène et de la salle. C'est à la lumière de leurs études que l'école de Weimar, ou Bauhaus, fondée en 1919, envisage le problème du théâtre. Le Bauhaus associe aux recherches architecturales aussi bien des peintres que des ingénieurs. Ils recherchent une " forme primitive " . A l'extrême, leurs théories inspirent l'Autrichien Honigs Feld, qui, en 1925, conçoit le projet d'un " théâtre sans spectateurs ". La fusion scène-salle est telle qu'en effet, on ne peut plus parler de spectateurs quand ils sont imaginés dans une participation active, menant un jeu qui se déroulerait sur cinq scènes simultanées. Cette volonté d'ouverture de la scène amène de nombreux metteurs en scène à sortir de l'édifice théâtral pour aller à la rencontre du public. Retrouvant le plein air, le théâtre descend dans la rue. Au début du siècle, Copeau, dans son exigence de dépouillement, renoue avec la commedia dell'arte et le théâtre de tréteaux. Ce mouvement trouvera son apogée dans les années soixante. C'est par exemple l'époque du Living Theatre de Julian Beck. Refusant l'architecture de classe de la scène à l'italienne, reproduisant dans le lieu théâtral la hiérarchisation de la société, les metteurs en scène soviétiques des années vingt quittent les théâtres pour aller au devant de ceux qui n'y sont jamais entrés. Mais c'est un mouvement que l'on retrouve dans toute l'Europe, à la recherche d'un véritable théâtre populaire. En Allemagne, Reinhardt le trouve sous le chapiteau du cirque, et, plus récemment, le Polonais Kantor monte ses pièces dans des hangars et des granges. Le metteur en scène français Antoine Vitez oppose justement l'abri à l'édifice. En aménageant des théâtres dans des bâtiments désaffectés, comme des usines, l'architecte fait entrer le théâtre dans l'univers familier du public, tout en établissant une distance qui l'amène à porter un regard neuf sur son environnement matériel et humain.

La mécanisation

Si toutes les réflexions sur le théâtre aboutissent à l'idée d'une scène ouverte, elles divergent sur la place que doivent y tenir les nouvelles techniques. Certains acquis techniques ont acquis sans conteste droit de cité au théâtre. Ainsi, l'électricité, qui, dans ses débuts, a été utilisée pour renforcer l'illusion et la fermeture de la scène, en plongeant la salle dans le noir et en réservant au spectacle toute la lumière, a été peu à peu utilisée différemment. Pour retrouver le sentiment collectif des formes historiques du théâtre avant la scène à l'italienne, on l'a considérée comme le moyen de recréer, dans des spectacles nocturnes, les conditions du plein jour. Dans son rôle encore actuel, elle est considérée comme un matériau artistique créateur de signes. Aucun théâtre ne peut se passer dorénavant du jeu d'orgues, et l'architecte doit y penser lors de la conception du projet, en sachant qu'il faut trouver la place d'un pupitre qui peut faire 1,70 m de long. Les techniques acoustiques sont aussi un élément de tout spectacle. Musique, bruitage, voix off, sont couramment utilisés. Le contre-plaqué est souvent utilisé pour la fabrication de décors ou de praticables. Son faible coût permet de renouveler le décor à chaque spectacle, et de s'adapter ainsi à un théâtre qui cherche dorénavant plus à surprendre. Les progrès de la mécanique et de la propulsion hydraulique ont surtout été utilisés en Allemagne et en URSS. Les ingénieurs allemands, dès les dernières années du XIX° siècle, mettaient au point des systèmes de scène mobile, qui, au départ, avaient surtout comme but la rapidité du changement de décor : la scène peut être tournante, comme au Résident Théâtre de Munich en 1896, ascendante, comme à Dusseldorf en 1906, ou encore coulissante, comme à l'Opéra National de Berlin. Le Neues Schauspielhaus de Dresde, construit en 1913, avec ses ascenseurs, ses trappes, ses plans coulissants et son cyclorama, est celui qui va le plus loin dans la mécanisation de la scène traditionnelle. Le théâtre Meyerhold fait servir la mécanique à de nouveaux rapports entre la scène et la salle. Le grand plateau en dessous du mur de scène est tournant et monté sur ascenseur. Le Bauhaus, dans la ligne d'Appia et de Craig, imagine une scène ouverte mécanisée. W. Gropius, dans Staatlische Bauhaus, écrit : Les problèmes séparés de l 'espace, du corps, du mouvement, de la forme, de la lumière, de la couleur, et du son seront étudiés. Les mouvements du corps organique et du corps mécanique, le son parlé et le son musical seront formés, l'espace du théâtre et les figurines de théâtre seront construites, l'utilisation des lois de la mécanique, de l'optique et de l 'acoustique sont déterminantes pour trouver la forme théâtrale recherchée. La scène mécanique est au service d'un Totaltheater, qui s'adresse à tous les sens. W. Gropius travaille en 1926 sur un projet avec le metteur en scène allemand E. Piscator. Malheureusement, les circonstances l'ont empêché de le réaliser. En 1933, le Bauhaus est fermé par les nazis, qui vont impulser un retour en arrière en imposant la scène traditionnelle. Mais le projet de Gropius et de Piscator inspire les créateurs d'aujourd'hui.

L'adaptabilité

Le lieu théâtral contemporain est un espace qui doit pouvoir permettre à l'imagination des metteurs en scène et des scénographes de s'épanouir, dans le contexte d'une libération des contraintes dramaturgiques. Le projet de théâtre total de Gropius se veut un tel instrument. Le metteur en scène peut utiliser la scène circulaire et/ou la scène annulaire. Il peut transformer l'espace en faisant pivoter la scène et une partie des sièges. De plus, " l'architecte doit créer un grand clavier permettant à un régisseur " universel " de contrôler la lumière et l'espace, un clavier assez neutre et variable pour pouvoir se soumettre à toutes les visions de son imagination et jamais ne le paralyser ni le contraindre " . Soulignons la différence entre adaptabilité et polyvalence. On peut en effet déplorer que les membres de l'Ecole de Weimar exilés aux USA aient dû abandonner leurs projets ambitieux devant la demande de salles polyvalentes, plus rentables. On a construit à ce moment là des salles, souvent de forme trapézoïdale, pouvant recevoir un public nombreux pour tout type de spectacle, théâtral, cinématographique, musical. Cette forme est en fait celle d'une salle de cinéma, avec une profondeur de scène. Elle ne répond pas aux besoins d'ouverture de la scène que nous avons souligné comme caractéristique du théâtre contemporain. A Paris, le Théâtre de Chaillot, d'une capacité de 2 000 places, a été construit sur ce principe. Un théâtre sans structures intérieures contraignantes, susceptible de transformations, semble bien être le théâtre qu'appelle l'aube du troisième millénaire. Le théâtre ne doit-il pas être capable de s'adapter à une société en évolution constante, caractérisée par la mobilité de ses membres ? Le théâtre peut ainsi la réfléchir et la faire réfléchir, pour l'accompagner dans sa constante et nécessaire évolution.




 

Retourner vers Notions & Concepts

cron