Le théâtre élisabethain

Le théâtre élisabethain

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Le théâtre élisabéthain est certainement l'un des plus riches en enseignements quand il s'agit d'étudier le rapport qui lie la scène à la dramaturgie. Le théâtre élisabéthain est né au milieu de son public, dans les cours d'auberges et sur les places publiques. Les troupes n'étaient inféodées à aucune autorité et se sont longtemps déplacées à travers tout le pays avant d'élire résidence dans des théâtres construits. C'est un théâtre à ciel ouvert, où l'on joue à la lumière du jour. De forme circulaire ou elliptique, il comprend une aire scénique et le parterre qui accueille le public. Le tout, quand il n'est pas ceint de murs de bâtisses, est entouré d'une clôture qui sert plus à contrôler les entrées qu'à créer un lieu isolé. La scène est composée d'un proscenium qui s'avance dans le public jusqu'au milieu du parterre, de la scène en retrait : inner stage protégé par un auvent et encadrée par deux piliers qui soutiennent la galerie : upper stage. Un rideau peut cacher l'inner stage et l'upper stage, pour ne laisser voir au public que le proscenium. La scène élisabéthaine a l'avantage de se développer dans ses trois dimensions. Elle se différencie par-là radicalement des scènes qui l'ont précédée. La profondeur qu'offre le plateau avec le proscenium et l'inner stage, le dégagement du front de scène, la position haute occupée par l'upper stage, permettent une variété d'utilisations qu'aucune scène n'avait permise jusqu'alors. Shakespeare a su jouer des potentialités que lui offrait la scène élisabéthaine et trouver dans celle-ci le moyen de déployer des fresques historiques où il a pu représenter autant les événements que les détails de la vie. C'est ainsi que l'on peut autant assister à la bataille d'Azincourt qu'être le témoin de conversations sans importance entre des femmes du peuple. La configuration de la scène élisabéthaine permet une grande variété de situations. Elle est particulièrement adaptée à l'évocation de l'Histoire, qui fait référence aux lieux et aux situations les plus divers. L'absence de décors construits, ajoutée à la flexibilité de la scène, autorise sur le plan du jeu des situations que la scène post Renaissance interdira.

C'est ainsi que des metteurs en scène comme Giorgo Strehler au Piccolo Theatro de Milan, Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris vont retrouver dans la scène élisabéthaine le moyen de résoudre de façon satisfaisante le problème de l'alternance ou de la simultanéité des lieux. Dans le théâtre élisabéthain, c'est l'action qui donne le rythme à la pièce, et non un découpage imposé en actes et en scènes. A la différence du système français, où il y a changement de scène chaque fois qu'un personnage entre ou sort, la scène, dans le théâtre élisabéthain, est une partie de l'action se déroulant dans un même lieu. S'il y a bien, comme dans le théâtre classique, unité d'action, de lieu et de temps, c'est au niveau de la scène qu'elle s'exprime et non au niveau de la pièce tout entière. Le dispositif scénique doit permettre, comme c'est le cas dans Antony and Cleopatra de Shakespeare, de jouer quarante-deux scènes se déroulant chacune dans un lieu différent au long d'une action qui a duré plusieurs années. La flexibilité de la scène et la structuration de la pièce en scènes autorise les actions multiples. Une pièce comme King Lear présente deux intrigues qui s'entrecroisent. Parallèlement à l'intrigue principale qui met en présence le roi et ses filles, la pièce développe une seconde intrigue, qui oppose le comte de Gloucester à son fils légitime et à son fils bâtard. Le procédé qui consiste à juxtaposer deux actions, se renvoyant comme autant de miroirs l'image l'une de l'autre, permet de multiplier les points de vue sur le drame. Bertolt Brecht, sur le modèle shakespearien, systématisera le procédé. Dans Mutter Courage, les scènes centrées sur l'héroïne Courage alternent avec d'autres où des personnages qui n'ont pas forcément de liens avec elle subissent les mêmes désastres de la guerre. La discontinuité de l'action, si elle permet de croiser les intrigues, de multiplier les lieux et de changer de temporalité, a l'avantage également de pouvoir mêler les genres. Ainsi peut-on passer du tragique au burlesque en faisant se succéder au cours des scènes des personnages de conditions différentes. Le théâtre trouve là encore le moyen de reproduire la diversité des situations rencontrées, celles des opinions. Espace neutre, la scène élisabéthaine ne recourt à aucun décor construit. L'espace scénique avec le proscenium, l'inner stage et la galerie, est susceptible d'évoquer au cours de la pièce les différents lieux où se déroule l'action dès lors qu'il peut être rempli par le texte. Ainsi le théâtre élisabéthain, comme le faisait le théâtre grec, va-t-il mobiliser la parole pour donner consistance au lieu. C'est à l'acteur d'évoquer par la parole, au spectateur de se représenter par l'imagination. La pièce Henry V nous donne l'occasion, quand le chœur présente le champ de bataille d'Azincourt, d'apprécier la force du procédé. On a pu montrer avec quelle force la poésie de Shakespeare pouvait donner corps à ce qu'elle évoquait, et comment la trame dramatique shakespearienne repose sur une vision poétique de l 'existence. Shakespeare n'a répugné à l'utilisation d'aucun des moyens qu'offrent le mot et la syntaxe, la versification et les figures de style pour créer un monde d'images qui vient se substituer à toutes celles que peuvent évoquer les décors. La scène élisabéthaine, entourée des trois côtés par les spectateurs, incite l'acteur à s'adresser directement au public. La proximité acteurs/spectateurs contribue à l'intensité dramatique et favorise même les échanges réciproques entre la scène et le parterre. L'aparté est un des moyens d'établir une relation directe entre le personnage et le public. Il est fréquemment utilisé chez Shakespeare. Le comédien vient à l'avant du proscenium, s'adresse au public pour lui livrer ses confidences. Il peut être seul en scène comme il peut faire partie d'un groupe de personnages placé sur l'inner stage ou sur l'upper stage, et dont il se détache momentanément avant de revenir vers eux. Quels que soient les termes et les contenus de ses propos, il ne baisse pas la voix. A la connivence que l'acteur établit avec le public en lui faisant part éventuellement d'un secret, s'ajoute une autre connivence, celle de la convention bien partagée. Hérité du théâtre latin et médiéval, le prologue est un propos inaugural qui, prononcé sous la forme du sonnet ou de l'ode, sert à situer le lieu, les personnages et l'action. Il a pour avantage, outre celui d'informer le public, celui de condenser la trame dramatique en résumant des parties entières de l'action. Il supplée par ailleurs à l'absence de décors en donnant une description des lieux où se déroule l'action. Le même type d'adresse peut être prononcé à l'issue d'une scène, c'est l'épilogue. Il sert à donner un avis sur l'événement qui vient de survenir. Le prologue comme l'épilogue sont des intrusions de l'auteur dans le jeu ou à côté du jeu. Il est dit par le meneur de jeu ou le chœur, ou par n'importe lequel des personnages en scène qui, momentanément, abandonnera son rôle pour assurer une mission auprès du public, sans doute plus urgente que celle de jouer. Le théâtre élisabéthain, à l'instar du théâtre médiéval, a su trouver dans le bouffon son meilleur représentant auprès du public. Celui-ci joue une partie du rôle que le chœur jouait dans le théâtre grec. Toutefois, tandis que le chœur renforçait le pathétique, le bouffon le brise tant par ses pitreries que par des allusions souvent insolentes à l'intrigue. Le bouffon bénéficie de la compassion que l'on porte aux êtres simples et de fait, il peut se prévaloir de l'indulgence de tous. Acteur né de la pure convention, le bouffon profère des propos de bon sens que partage volontiers le public qui le reconnaît comme l'un des siens. C'est lui souvent, dans les situations les plus complexes, qui sait avec esprit en tirer le sens. Le théâtre élisabéthain a su pousser la convention jusqu'à faire admettre que les personnages seraient ce qu'on a décidé qu'ils soient en dépit de la réalité de leur rôle. Si le bouffon peut se cacher impunément derrière l'étiquette qu'il porte, il peut aussi se cacher derrière des personnages qui participent à l'action. On a pu voir derrière des personnages comme Falstaff dans Henry IV et toute sa bande autant de bouffons qui savaient faire valoir l'opinion d'un public qui se reconnaissait en eux. L'art de Shakespeare de jouer sur le sens des mots et l'ambiguïté des situations a pu faire que le bouffon quitte la scène au moment où le roi Lear est assez fou pour prendre sa place. Le théâtre élisabéthain met en scène un certain nombre de types humains et sociaux répondant à une définition unanimement admise. Au-delà des personnages et de la place qu'ils occupent dans l'action, l'utilisation redondante dans les pièces de types permanents constitue des éléments de référence qui sont autant de repères pour le spectateur, repères qui structurent la pièce. L'amoureux, le roi, le vieillard, le tyran, le jaloux deviennent en quelque sorte des éléments de la mise en scène comme peuvent l'être dans un autre ordre les costumes, les objets, la musique. Et les décors, s'il y en avait.

Les costumes du théâtre élisabéthain étaient généralement fastueux et servaient d'une pièce à l'autre. Ils sont porteurs de sens. Ils traduisent la position sociale du personnage comme ils renseignent sur son pays d'origine. Ils nous informent aussi sur son état d'âme. En opposant aux somptueux costumes des gens de la cour le sombre manteau de Hamlet, Shakespeare nous indique l'importance du deuil qui l'affecte. Il n'est sans doute pas outrancier de dire que le costume, dans le théâtre élisabéthain, joue partiellement le rôle que le décor joue dans le théâtre qui l'utilise. De la même manière, si le théâtre élisabéthain a introduit sur la scène des objets, c'est plus pour la valeur symbolique qu'ils représentent que pour donner du réalisme à l'action. Ainsi, si un personnage porte une couronne ou tient à la main un sceptre, c'est pour signifier qu'il est roi. Si tel autre porte un casque, c'est pour signifier qu'il est soldat. Aucun objet n'a d'existence indépendamment du personnage dont il est le prolongement. Tout comme le costume et les objets, la musique est utilisée pour renforcer le sens. La fanfare annonce l'arrivée d'un roi vainqueur, le son du cor sa défaite, les roulements du tambour sont annonciateurs de mauvaises nouvelles, les éclats de la trompette expriment la joie. En plus de la musique, le théâtre élisabéthain a introduit sur la scène le bruitage qui, comme elle, vient ponctuer les grands et petits événements. Des coups de canon tirés derrière la scène servent à annoncer l'arrivée d'un personnage royal. Les coups donnés sur un tonneau préviennent de l'imminence de la tempête.




 

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