Le conte et la nouvelle

Le conte et la nouvelle

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L’un comme l’autre appartiennent au récit narratif bref. C’est ce qui les distingue du roman. Ces deux genres tendent à se confondre ; Maupassant par exemple qualifiait certains de ses textes aussi bien de contes que de nouvelles. Pourtant, il semble bien que quelques critères permettent de les distinguer (II). On peut toutefois mettre en évidence les éléments d’une poétique du récit bref en général (III). Mais au préalable, il sera nécessaire de faire une mise au point sur le parcours historique du récit bref en France (I).

Historique du récit bref :

Nous nous arrêterons d’abord sur les ancêtres du genre.

Au Moyen Âge, trois genres annoncent l’avènement de la nouvelle.

Les fabliaux, d’abord, vont fournir une thématique inépuisable aux premières générations de nouvellistes. Ces fabliaux sont, selon la définition de Joseph Bédier, des « contes à rire en vers », parodiant le plus souvent la littérature courtoise, qui se retrouve alors truffée de paillardises. Ce genre s’étend du milieu du XIIe siècle au début du XIVe. Ce sont essentiellement des jongleurs professionnels qui les créent et les colportent. Ainsi ont-ils une origine essentiellement orale.

Les Lais de Marie de France, vers 1180, présentent déjà une des caractéristiques esthétiques de la nouvelle : le resserrement de la narration autour d’épisodes significatifs. (Guigemar, Le Lai du chèvrefeuille) ; accomplissement : nouvelle courtoise anonyme en octosyllabes : La Châtelaine de Vergi (XIVe)

Enfin, les genres à visée didactique que sont l’exemplum, la fable et le conte moral, préludent, par leur brièveté, à la naissance de la nouvelle.

Les œuvres fondatrices du genre :

Le Decameron de Boccace (vers 1350) (« 10 jours » en italien) : dans son prologue, il présente son texte : sept femmes et trois jeunes gens quittent la ville pour un lieu retiré à la campagne. Ils programment d’y rester dix jours. Chaque jour, l’un d’eux se fera narrateur (roi) et racontera – lira – des « nouvelles », fables ou paraboles. Il y en aura cent en tout. Le mot nouvelles est donc lancé. À la fin des dix jours, ils retournent à Florence, et le livre est terminé. Pour l’auteur, ce nouveau genre prétend à la véracité factuelle et entend être d’actualité. Mais aujourd’hui, c’est avant tout la modernité du Decameron qui nous frappe :

    - inventivité et souplesse de la langue
    - morale laïque et hédoniste (morale du plaisir des corps sans culpabilité)
    - par le public visé, traditionnellement méprisé : les femmes (l’ouvrage leur est dédié), mais pas n’importe lesquelles : les femmes qui aiment ; mais aussi la bourgeoisie italienne, en pleine expansion
    - par sa représentation de la société, à la fois réaliste et utopique (même si ce trait était déjà présent dans les fabliaux)

Mais la grande nouveauté, et qui va servir dorénavant de modèle, c’est celle de la structure narrative qui consiste à enchâsser les récits dans ce que l’on nommera le recueil-cadre.

Naissance du genre en France : Les Cent Nouvelles nouvelles (vers 1460) : recueil anonyme faisant référence au Décameron qu’on appelait aussi « les 100 nouvelles ». Cet ouvrage s’inspire de la thématique des fabliaux français : maris trompés ou trompeurs, femmes gaillardes, moines et chambrières, mais aussi paysans dupant les seigneurs. Deux éléments formels qui se recoupent sont à relever, ils inaugurent la tradition : les nombreuses marques d’oralité, tant dans les sommaires que dans la narration, qui sont aussi des tournures phatiques, tendant à assurer ou vérifier la bonne communication avec le destinataire : « Ecoutez-bien ».

Le genre se développe alors, même chez les lettrés ; Bonaventure des Periers (auteur sérieux par ailleurs) écrit en 1558 Nouvelles Récréations et joyeux devis : savante simplicité que la Fontaine admirera.

Mais c’est surtout L’Heptaméron de Marguerite de Navarre (sœur de François 1er) (1559) qui consacre la nouvelle en France comme un genre original. (un groupe de cinq hommes et cinq femmes se retrouve, bloqué, dans une abbaye des Pyrénées : un pont s’est effondré, il faut dix jours pour le reconstruire ; pour tromper l’ennui, l’une des femmes propose les Saintes écritures ; mais cela ne peut occuper que la matinée ; un autre propose le plaisir des corps, mais sa femme préfère réserver cette activité privée aux soirées ; une autre, sous le patronnage de Boccace, suggère un divertissement commun : racontons-nous des nouvelles tous les jours de midi à quatre heures). Chacun se fait « devisant » d’un jour. (Marguerite meurt trop tôt pour achever l’ouvrage qui devait comporter 10 journées : 7 seulement)

    - valeur sociale (comme chez Boccace) de l’échange des contes : volonté de produire un « bien commun » ; chaque conte est suivi d’une discussion (philosophique, religieuse).
    - souci d’authenticité : événements politiques (assassinat de Laurent de Médicis ; référence à François Ier.. ; Blois, Amboise).
    - émergence d’une nouvelle tonalité sentimentale : plus d’obscénité (même si 2 nouvelles scatologiques) ; le rire n’est plus l’objectif exclusif du récit.

Le XVIIe siècle : éclipse de la nouvelle dans la première partie du siècle.

Histoires tragiques : volonté d’édifier ; la société est frappée par l’horreur de l’époque, les guerres de religion : histoires sanglantes ; véracité, faits divers : contre les romans interminables trop romanesques (L’Astrée d’Honoré d’Urfé) : goût pour la violence et la cruauté.

Les Nouvelles exemplaires de Cervantes : très vite traduites en français. Elles marquent une rupture dans l’histoire du récit bref :
    - technique narrative : nouvelles plus longues, plus étoffées ; les « circonstances » de l’histoire sont plus développées et plus motivées : plus grand naturel
    - contenu : « vérité sans artifice » : réalisme avant l’heure : montrer les choses comme on les voit d’ordinaire.

Ce récit oriente la production française : la nouvelle historique et ou galante est conçue comme un petit roman, en principe sérieux.

La Fontaine et Perrault procèdent à un retour aux sources :

* Contes et Nouvelles en vers de La Fontaine (1665-1666) : référence directe à Boccace. Sur le plan de l’histoire littéraire de la nouvelle : retour au récit alerte et grivois : désir charnel et ruse qui rappellent le fabliau.

* Histoires ou contes du temps passé : de Perrault (1697) : vogue pour les contes de fées. Mais lui, entend renouer avec la tradition orale et populaire des contes (contrairement à ces dames-écrivains qui placent les fées dans le romanesque et la fantaisie galante). Il faut mesurer l’audace de l’académicien qui a voulu élever à la dignité littéraire un genre qui l’est si peu. Après les premiers essais en vers, Perrault choisit la prose et cherche ainsi à évoquer le naturel du conte populaire ; il réduit la part du surnaturel à l’indispensable et ancre le récit dans un quotidien réaliste, caractérisé par le souci du détail concret. (plus de malice et d’ironie que de goût pour la féérie : prépare Voltaire)


XVIIIe siècle : l’âge d’or du conte


Ce genre s’impose dans deux domaines, celui de l’imagination et celui de la raison

Jeux de l’imagination :

    - Le conte de fées : Perrault et Mme d’Aulnoy ont lancé la vogue.
    - Le conte oriental : il enrichit le conte de fées. C’est la traduction de l’arabe des Mille et une nuits par Antoine Galland qui donne le coup d’envoi. Le succès est foudroyant : plaisir du dépaysement. Très vite, les épigones ne se comptent plus. Le conte oriental connaît deux dérives : d’une part, le cadre supposé voluptueux de l’Orient, en particulier du sérail, oriente le conte vers l’expression des fantasmes, et devient un avatar du conte libertin, épicé d’exotisme. Ex : le Sopha (1740) de Crébillon : un canapé, doué de parole, raconte les aventures érotiques dont il a été le témoin mais aussi le lieu. D’autre part, la distance de l’exotisme permet de voiler la critique politique et sociale des mœurs nationales (Lettres persanes de Montesquieu) ; Voltaire va exploiter cette voie.
    - Le conte libertin : il est le pur produit d’un siècle où la parole réalise avec élégance cette alliance de la transparence et de la suggestion qu’on retrouve dans le domaine pictural dans les fêtes galantes de Watteau ou encore chez Fragonard. Deux récits dominent cette production : la Petite maison de Jean-François de Bastide (1758 revu en 1763) et Point de lendemain (1777 revu en 1812) de Vivant Denon. Histoires de séduction. Beaucoup d’exemples de dérive pornographique.

Jeux de la raison :

l’esprit philosophique, au XVIIIe, conduit dans une certaine mesure à un discrédit du romanesque qui affecte bien sûr la nouvelle considérée justement comme du concentré romanesque : mépris pour ce genre frivole, instrument de fausseté, au profit de la raison et de la sensibilité dans des fictions transparentes que manipulent la parole didactique du conteur.

* Le conte moral : Marmontel le premier en publie au Mercure de France. Il va trouver de nombreux imitateurs (Louis-Sébastien Mercier ; des éducatrices : Mme de Genlis, Mme Leprince de Beaumont). « Moral » est à entendre dans son sens objectif : qui peint les mœurs, et au sens prescriptif de : « qui vise à les réformer ». Donc le conte moral consiste à décrire pour instruire, raconter pour édifier : agent de régénération morale (ressemble à la fable, mais dans le conte, c’est la structure même de la narration qui porte la charge didactique. Souvent, ces textes souffrent de leur didactisme. Le message, en gros, est le suivant : « soyez bons pour être heureux » : morale bourgeoise dans laquelle le doute n’a pas de place ; confiance mesurée. Des contes à l’eau de rose, dira Sade. Mais ce genre a fait progresser la narration brève : souci d’efficacité, unité formelle du récit, ancrage dans un quotidien réaliste.

* Les « contes philosophiques » de Voltaire : genre proprement voltairien. Quelques pastiches seulement : exercice d’une pensée qui se construit dans le plaisir de l’écriture. Premier conte, très tardif (Voltaire a 54 ans) : Zadig ou la destinée (1748). Après avoir brillé dans toutes les cours européennes (épopée La Henriade ; ami de Frédéric II), il doit se retirer de la sphère du pouvoir : retraite à Ferney en 1760. La production des contes coïncide avec le renoncement à une position officielle. Œuvre de contrebande, le plus souvent anonyme : Candide, « traduit de l’allemand » où il exprime son scepticisme croissant devant la découverte de la relativité (a découvert Newton), l’absurdité du monde (tremblement de terre de Lisbonne: Candide). « Plus s’accentue le divorce entre l’idéal et l’expérience, plus le conte se révèle proche des humeurs de Voltaire, qui ressent de manière intermittente le besoin de faire le bilan de ce que lui apporte la vie ». Ces contes : récréation et protestation. Jubilation du conteur et ambiguïté du message : c’est l’ironie voltairienne. Loin de la sagesse rassurante des contes moraux, ceux de Voltaire suggèrent plus de questions que de réponses toutes faites : à chacun de « cultiver son jardin ».

Mutation de la nouvelle : face à ce discrédit qui frappe le romanesque, la nouvelle va prendre une nouvelle orientation : elle se fait plus réaliste et rompt donc avec le romanesque et l’invraisemblable : Robert Chasles, dans la préface de Les Illustres Françaises (1713)qui regroupent ses « Histoires véritables », dit que ses courts textes sont « des vérités qui ont leurs règles toutes contraires à celles des romans. Le genre s’oriente même vers un réalisme parfois documentaire. À l’opposé, à la fin du XVIIIe, l’inspiration préromantique est présente dans la nouvelle : retour à l’histoire et à ses périodes violentes : prédilection pour le Moyen Âge ; fascination pour le morbide (à l’honneur au même moment en Angleterre dans le roman noir : Ann Radcliffe ou Lewis (Le Moine).

Quant à la narration, elle se fait plus concise. Il n’y a plus de « nouvelle petit-roman ». Après une exposition brève limitée à l’essentiel, la narration se rassemble autour d’un événement simple, qu’elle développe le plus souvent de façon chronologique, en se focalisant sur quelques séquences clés.

Le XIXe siècle : le siècle des maîtres

La nouvelle connaît un essor inouï, en France en particulier. Cela tient en particulier à un facteur historique, l’essor des journaux quotidiens et périodiques : la Revue de Paris publie les nouvelles de Balzac : l’Elixir de longue vie, L’Auberge rouge ; et Mérimée : Mateo Falcone. Le journal La Mode accueille des feuilletons de Dumas, Sand, Balzac ; véritable naissance : dans La Presse en 1836, journal à grand tirage et bon marché financé par la publicité. A côté du roman feuilleton illustré par Eugène Sue et ses Mystères de Paris, est libéré un vaste espace du publication pour des textes courts. : fin XIXe : plus de soixante journaux accueillent des conteurs : Daudet au Soir, tous les lundis (il réunira tous ses contes en 1873 sous le titre des Contes du lundi) ; et surtout Maupassant qui publie dans trois journaux : Le Figaro, Gil Blas, le Gaulois.

Les deux grands spécialistes du genre sont incontestablement Mérimée et Maupassant (les plus productifs) qui explorent tout autant le mystère fantastique que le monde réel (réalisme quasi ethnographique de Mérimée dans Colomba par ex) ; Maupassant : observation de la société dans tous ses milieux, analyse lucide de l’être humain en sa misère morale : couvre tous les tons narratifs.

Mais les 5 géants du roman ont également publié des contes ou nouvelles : Balzac (Contes drôlatiques), Stendhal (Chroniques italiennes),Flaubert : chef-d’œuvre des Trois contes, Hugo (Claude Gueux), Zola débute par le conte (contes à Ninon).

Rajouter Charles Nodier, Gautier, Nerval, Daudet, Barbey d’Aurevilly : Les Diaboliques, Villier de L’Isle Adam.

Les influences étrangères contemporaines (surtout pour la veine fantastique) : l’Allemagne, avec Hoffmann ; les Russes : Pouchkine (Mérimée), Gogol, Tourgeniev (Maupassant) ; Poe (Baudelaire). Les Français se font traducteurs

Goethe, le premier, a proposé des éléments de définition de la nouvelle en renouant avec le sens premier du terme : double caractère d’histoire vraie et étonnante : « un événement inouï qui a eu lieu ». Les français iront dans cette voie, et explorent ainsi le fantastique. Nodier le premier théorise : Du fantastique en littérature. Le fantastique moderne explore le rêve comme partie prenante de la réalité humaine ; Nerval va dans le même sens : « le rêve est une seconde vie », écrit-il au début d’Aurélia. Maupassant est en quête de l’étrange, mais comme révélation du réel. La peur inexplicable.

L’inouï se traduit aussi par le goût de la violence et de la cruauté : Chroniques italiennes : succession de morts violentes ; Barbey : l’enfer est sur terre avec lui.

La nouvelle au 19è est une parole vivante : elle est d’abord l’expression indirecte d’une personnalité. C’est pour cette raison, dit Schlegel, que la nouvelle nous touche : elle est la marque d’une subjectivité. Elle est ensuite une parole conteuse : la plupart des nouvelles du XIXe sont des histoires qui mettent en scène un conteur (la moitié de la production de Maupassant, par ex). La voix de ce conteur peut se confondre avec celle du narrateur, acteur parfois, généralement témoin du récit qu’il nous délivre. On retrouve souvent le principe du récit encadré. Le cadre est constitué d’une assemblée ; parmi elle, un conteur, dont le portrait est rapidement brossé, prend la parole et se fait conteur du récit second ou encadré. L’artifice de la narration est construit sur un narrateur dédoublé : un narrateur extra et hétérodiégétique laisse la place à un narrateur intra et homo diégétique ; cheminement inverse à la fin de la nouvelle. (L’Horrible de Maupassant : narrateur 2 : Général de G.). Mais si le récit encadré est le principe, il en existe de nombreuses variations. Le schéma se trouve perverti. Ainsi, parfois, le récit cadre va prendre autant d’importance que le récit encadré.

XXe siècle : tradition et renouvellement

Au XXe, précisément après la Première guerre, la nouvelle (c’est désormais la dénomination qui prévaut), entre au purgatoire, victime du déclin de la presse et de l’impérialisme du roman. De plus, si la plupart des grands romanciers se sont essayés à la nouvelle, le genre a une place marginale dans l’œuvre : la nouvelle, c’est plutôt une façon de faire ses gammes. Sartre lui-même, l’auteur des Mots, l’entend ainsi. Contre la nouvelle : l’impérialisme du roman, mais aussi, paradoxalement, la défiance envers le récit au sens traditionnel, c’est-à-dire le récit linéaire : après Joyce ou Faulkner, il n’est plus possible de rendre compte de la complexité du réel à travers une narration linéaire. Or, la nouvelle est identifiée historiquement à la narration linéaire, genre discrédité par Breton : trop conventionnel, forme révolue.

Au XXe, le terme de « nouvelle » s’impose pour caractériser le récit bref (65 % sont ainsi étiquetés). Le mot « conte » (15 %) renvoie plutôt à une littérature qui a partie liée avec l’oralité. 11 % comme « récits », 5 % comme « histoires » : deux termes plutôt neutres : souci de l’auteur de ne pas s’engager. Pour les 4 % restants, on trouve les termes de chroniques, ou contes et nouvelles.

Tendance actuelle : la nouvelle est de plus en plus brève : maxi 50 pages. La nouvelle la plus courte : Eugène Nicole : six mots, titre compris :

Lettre au Commandeur des mourants
Excellence,.



N’étant plus accueillie dans la presse, la nouvelle au XXe prend place dans un recueil ainsi valorisé, les nouvellistes devant soigner alors la cohérence de l’ensemble, ce qui n’était pas nécessaire chez Maupassant (compilation tous les ans des textes parus dans la presse).

Le déclin de l’intrigue :

La nouvelle, cependant, n’est pas morte. Le problème en France, est que Maupassant a porté à son apogée un modèle narratif, celui de la nouvelle à intrigue tout entière orientée en fonction de l’effet dramatique à obtenir. Le risque était d’en faire pour les générations suivantes le type exclusif du récit bref et de risquer ainsi de stériliser la création dans la répétition d’une formule stéréotypée. Une alternative apparaît alors à travers l’innovation proposée par Tchekhov : il s’agit moins de narrer une histoire que de capter « par-delà les mots, la présence de la poésie vraie de la vie. Cette alternative vient de l’étranger : Henry James construit ses nouvelles autour d’une absence, une lacune : on parle d’un récit dérobé : L’image dans le tapis (1896) : quête vaine d’un secret enfoui ou qui plutôt peut-être n’existe pas : l’objet se dérobe à mesure qu’il devient une idée fixe ; le lecteur est alors victime d’un désir inassouvi. Avec James, la nouvelle rapporte moins des faits qu’elle ne dit la difficulté à les cerner et à les atteindre. Anton Tchekhov et Katherine Mansfield : pour Tchekhov, le conter est plus important que le conte (réalisme impressionniste) ; l’intrigue cède le pas à une perception fine du réel, des états d’âme et de conscience. Chez Mansfield, la Garden-party et Joyce Gens de Dublin : le récit se fait lacunaire. Seul l’instant est montré.

En France, c’est Larbaud le premier qui avec Enfantines (1918) fait de la nouvelle autre chose qu’un récit intrigué. Nouvelle conception de la nouvelle qui fixe et sature le présent : « nouvelle-instant » à l’opposé de la « nouvelle-histoire ». La nouvelle s’attache moins au déroulement de la narration qu’à la ramification de la perception et de la conscience. L’anti-nouvelle correspond à la contestation du genre par lui-même : renoncement total à l’intrigue : Nouvelles et textes pour rien de Beckett: autant de constats de faillite du récit victime d’un soupçon corrosif : « je songeai faiblement et sans regret au récit que j’avais failli faire, récit à l’image de ma vie, je veux dire sans le courage de finir ni la force de continuer ». C’est la limite du genre, lorsque le récit se fait poème en prose.




 

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