CORNEILLE Pierre: Biographie, études et analyses des oeuvres

CORNEILLE Pierre

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1/ Un écrivain reconnu

Le titre de "prince" que l'on a donné à Corneille révèle bien l'empreinte de son oeuvre sur tout le XVIIè siècle. Au cours de sa longue carrière (45 ans consacrés au théâtre) le dramaturge a su, par son zèle de courtisan, sa prudence dans la vie, résister aux modes et s'imposer comme la référence dramatique du siècle que seul Racine pourra concurrencer.


2/ Une oeuvre novatrice

Le talent dramatique de Corneille a exploité dans ses 33 pièces toute la palette du genre théâtral :
- Les comédies : 8 importantes dont Mélite, La Place Royale, L'Illusion Comique ou encore Le Menteur.
- Les tragédies : genre de prédilection, près d'une vingtaine dont le moitié constitue de réels chefs-d'oeuvre : Horace, Cinna, Polyeucte, Suréna...
Les tragi-comédies, dont Le Cid est le meilleur exemple, et desquelles on rapprocherait les "comédies héroïques" comme Don Sanche d'Aragon, ou Tite et Bérénice et même les féeries comme Andromède ou La Toison d'or.


3/ Une esthétique baroque

Cette diversité d'inspiration se ressent du climat de mutation sociale et littéraire de la première moitié du siècle. Dans ses premières oeuvres, Corneille emprunte à la mode baroque les thèmes du déguisement et de l'instabilité, le goût du mouvement et de l'ostentation, le ton de la légèreté et du réalisme. Ce mélange de fantaisie et de vérité aboutit à un univers irréel fait d'ambiguité et de fantasmagorie. Clitandre dans le genre sérieux, L'Illusion comique et Le Menteur, sont les meilleurs exemples de cette veine dont on redécouvre la modernité.


4/ Un théâtre de la grandeur

Mais la célébrité de Corneille est indiscutablement liée à ses réussites tragiques. L'auteur définit dans les trois Discours sur l'art dramatique ses conceptions théâtrales. L'action de la pièce doit être illustre, de préférence empruntée à l'histoire ou la mythologie. Les personnages, essentiellement de haute naissance ou remarquables par leur élévation morale, seront mus par une volonté ferme qui laisse peu de place au sentiment : si l'amour a "toujours de l'agrément [...] il faut qu'il se contente du second rang dans le poème". Le devoir, l'estime, la gloire, le mérite sont les nobles valeurs qui orientent le choix du héros et justifient son sacrifice. A l'opposé, l'ambition, la haine, la vengeance conduisent à la vilenie et au malheur. La représentation théâtrale remplira alors son double objectif : plaire et instruire.

- L'Illusion comique, 1636
Corneille s'est déjà fait connaître comme brillant auteur de comédies, quand le succès de Mairet avec sa tragédie Sophonisbe l'incline à s'essayer au genre tragique avec Médée, qui échoue. Revenant à la comédie l'année suivante, il donne ce "caprice" à la verve débridée. "Un étrange monstre", c'est ainsi que Corneille définit sa pièce dans son épître préliminaire, et il faut reconnaître que cette comédie échappe aux lois du genre par sa grande liberté de ton et de forme : refus des unités, multiplication des actions, mélange des genres, recours à la magie, structures irrégulières ... Cette comédie récupère la tradition de la Commedia dell'arte dans ses thèmes (mariage forcé, rivalité amoureuse, déguisements) et ses personnages (capitan, barbon, jeunes premiers). Mais cette veine se mêle aux influences baroques perceptibles dans le mouvement, les transformations scéniques, la richesse du décor, la gaieté et la parodie, notamment avec Matamore, prototype du soldat hâbleur et poltron.
La modernité de la pièce repose sur l'effet de "mise en abyme" et l'exploitation des ressources de l'illusion créée par la donnée initiale. Le théâtre est un art de magicien. Chaque personnage porte un masque, voire deux, parle dans un langage affecté, vit des épisodes aussi dangereux que fictifs. Cette duplicité de convention doit toutefois nous aider à vaincre les forces de l'imaginaire pour parvenir à la vérité des êtres. Marivaux n'est pas loin.

- Le Cid, 1637
Agé d'à peine 30 ans, Corneille obtient avec cette pièce l'un des plus grands succès du siècle : "Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue" écrit Boileau. Inspirée d'un sujet espagnol de Guilhem de Castro, la tragi-comédie, créée au théâtre du Marais, est toujours au répertoire. Cette pièce marque la naissance du "grand Corneille" qui, sans renier son inspiration baroque, s'affirme comme un maître du théâtre sérieux. L'oeuvre tire d'abord son éclat et son retentissement de l'habile transformation de l'actualité en spectacle (vogue de l'Espagne et menaces de l'invasion espagnole, interdiction des duels, restauration de l'autorité royale) et d'une grande virtuosité dans le dialogue. La scène de la provocation (acte II, scène 2) est une des plus célèbres de tout le théâtre. Mais le grand mérite de la tragi-comédie, c'est que Corneille y expérimente un des ressorts essentiels de son théâtre : le conflit. En effet, la situation pousse à son extrême le choc de deux existences contradictoires d'où doit naître l'émotion. Le cas personnel des jeunes gens concentre tragiquement le dilemme qui oppose l'engagement politique à la passion amoureuse. L'épilogue de la pièce marquera la réconciliation des valeurs antagonistes quand Chimène admet : "Rodrigue a des vertus que je ne puis haïr" (acte V, scène 7). L'enthousiasme suscité par la pièce provoque des jalousies. Les rivaux de Corneille l'accusent de plagiat, lui reprochent les entorses aux lois du théâtre classique, la subversion morale ("Chimène est scandaleuse, sinon dépravée" écrit Scudéry), le danger pollitique. L'auteur répond, non sans maladresse : "Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée". La querelle s'envenime, l'Académie prend tièdement parti. Il faut l'intervention de Richelieu pour mettre un terme à la polémique.

- Horace, 1640
Soucieux de désarmer les critiques, Corneille donne, 3 ans après Le Cid, une vraie tragédie, plus respectueuse des règles et inspirée cette fois de l'histoire romaine. Horace est d'abord une pièce de circonstance dédiée à Richelieu. Elle souhaite montrer l'inutilité des combats fratricides (ceux qui opposent la France à l'Espagne) et glorifier la raison d'Etat. Ce message dépasse, sans l'effacer, le débat psychologique. L'idéal de gloire du héros se confond avec la soumission à un pouvoir fort et autoritaire. Mais cet héroïsme risque, par ses excès, de se transformer en fanatisme (ce que montre le meurtre de Camille) et on peut lui préférer le courage résigné de Curiace qui accomplit son devoir sans désavouer son amour pour la souffrante Sabine.

- Cinna, 1642
La deuxième tragédie romaine de Corneille est empruntée à Sénèque dans un passage du "De Clementia", traduit par Montaigne. Cette pièce, une des plus réussies de Corneille, est encore une variation sur le conflit qui oppose le héros au pouvoir. Le héros cornélien, libéré de la fatalité, est livré à son libre arbitre. Auguste, Cinna, Emilie, Maxime sont tenus de décider librement de leur conduite et de se défier des passions (vengeance, amour, jalousie, vanité) qui égarent. Chaque héros possède en lui les marques de sa grandeur. Sa gloire sera de les retrouver et de préférer aux errances humaines les voies de la vertu et de la générosité. Le tragique cornélien procède ici d'une succession d'épreuves surmontées. L'action s'en trouve concentrée, simplifiée, puisque la pièce commence à la veille du meurtre et se modifie par la décision d'Auguste de consulter ses conseillers. Alors, chaque décision entraîne la suivante et conduit à l'ultime question : Auguste pardonnera-t-il ? Le tragique peut ainsi se passer des effusions de sang et s'accommoder des règles dramatiques. A travers l'empereur romain, c'est l'éloge de la mesure, de la clémence et finalement de la sagesse en politique qui est tenté. Alors que dans Horace l'Etat réclamait le sacrifice des vies humaines, il semble attendre ici de ses représentants plus de magnanimité. Entre le désordre et la tyrannie auquel conduira le geste de Cinna, et celui de la République rêvée par d'autres, existe la position médiane d'une monarchie inspirée par la loi divine. Par sa libre décision, le cruel Octave devient l'empereur Auguste. Le message de la pièce est alors celui de la réconciliation du pouvoir et de l'amour.
[src]Le Trouble[src]




 

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