DIDEROT Denis: Biographie et analyses des oeuvres

DIDEROT Denis: Biographie et analyses des oeuvres

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(1713-1784).

Diderot I Un témoin de son siècle.
Une éducation sérieuse : Denis Diderot est né à Langres en 1713. Son père, un coutelier à l'aisance confortable, exerce sur lui une influence profonde par son autorité morale. Diderot fait des études brillantes chez les jésuites, et sa famille, très catholique, le destine à la prêtrise.
La bohème parisienne : il obtient un diplôme de l'université de Paris mais mène une vie désordonnée qui lui vaut de ne plus être entretenue par sa famille. Il fréquente les milieux littéraires, se lie avec des philosophes, se passionne pour le théâtre, apprend l'anglais, et s'initie aux mathématiques.
. Il se marie avec la faille d’une lingère et en aura 4 enfants. Seule sa fille aînée, Angélique, survivra. Il lui voue une affection sans borne, lui offre une éducation éclairée et tolérante et la met à l’abri de tout souci matériel en vendant sa bibliothèque. Son mariage, en revanche, est un échec. Diderot s’installe dans une vie plus stable et poursuit sa formation intellectuelle.

Vers l’âge de 30ans , Diderot est déjà un esprit formé : Il a lu les philosophes anglais, dont l’approche pragmatique et matérialiste lui convient, à commencer par Shaftesbury dont il traduit l’essai sur le mérite et la vertu en 1745. Il lit Spinoza, dont la pensée sur la nature et le déterminisme sera cruciale, lit les romanciers anglais ( Sterne, Richardson) qu’il apprécie. Ses idées sur la religion, le rapport de l’individu à la société et la morale sont déjà élaborées .Son matérialisme ( teinté de spiritualité) se voit condamné à travers ses premiers écrits : les pensées philosophiques (1746). Cet essai critique les dogmes chrétiens et défend la religion naturelle.
L'encyclopédie : à partir de 1747, Diderot est chargé avec d'Alembert, de diriger la publication de l'encyclopédie. Il se trouve, dès lors, au coeur du combat mené par les philosophes. Ils l'alimentent aussi de son oeuvre personnelle, depuis la lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient, en 1749, qui lui vaut d'être emprisonné quelque mois à Vincennes, jusqu'au neveu de Rameau, achevé en 1779.
Le voyage en Russie : la fin de la vie de Diderot est marquée notamment par une expérience directe du « despotisme éclairé ». Il entretenait des relations épistolaires avec Catherine II de Russie. En 1773, il se rend lui-même à Saint-Pétersbourg : il y passe quelques mois auprès de la tsarine, à laquelle il fait part de ses idées de réformes politiques et sociales. Diderot meurt en juillet 1784.

II Ampleur et diversité de l'oeuvre.
L’effervescence créatrice de Diderot est éloquente : il aborde presque tous les genres dans le domaine de la création littéraire et de la réflexion philosophique, entremêlant les genres entre eux, au sein de dialogue philosophiques et fictionnels comme c’est l’usage au 18ème siècle et comme il aime à le faire pour garder la pensée plus vivante et l’attention du lecteur soutenue.
Diderot philosophe : Diderot commence sa carrière d’écrivain par des essais philosophiques. Il préfère ensuite la forme du dialogue.
Ses trois premiers essais montrent l'évolution rapide de sa pensée religieuse. Il passe de la croyance en un être suprême créateurs (Déisme), à l'idée que « l'univers est Dieu » (Panthéisme), puis à une conviction matérialiste athée qui s'exprime d'abord par la lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient. Diderot y montre que les aveugles, ne pouvant percevoir la perfection de la création, celle-ci ne saurait être une preuve de l'existence de Dieu. Cette constatation débouche sur une explication évolutionniste du monde. La même thèse se précise dans les trois dialogues réunis sous le titre entretiens de d'Alembert et Diderot.
D'autres questions philosophiques sont abordées dans le supplément au voyage de Bougainville, dialogue écrit en 1772. À la suite de la publication par le navigateur Bougainville du récit de son voyage autour du monde, Diderot compose un supplément, dont il situe l'action à Tahiti. Cet épisode est évoqué par un personnage nommé B., porte-parole de Diderot. Il dialogue avec A., et fait l'éloge des moeurs tahitiennes, dont son récit montre la supériorité sur celles des civilisés. Les sauvages vivent en effet heureux, selon les lois de la nature.
Diderot critique d'art : Diderot s’est assez tôt intéressé à la question de l’art. L’essentiel de ses réflexions dans ce domaine porte sur la peinture. Il lui consacre des essais théoriques et surtout des comptes rendus d'expositions. On connaît ces derniers sous le nom de salons. Ils sont publiés dans la correspondance littéraire, revue manuscrite envoyée aux abonnés, dans les différentes cours d'Europe. Pour ces lecteurs qui ne peuvent voir les tableaux, Diderot en fait des descriptions assez précises. La critique proprement dite porte souvent plus sur les sujets que sur la technique picturale. Diderot apprécie particulièrement le réalisme de Chardin ou la sensibilité de Greuze. Il condamne en revanche l'immoralité des nus de Boucher. Pour lui, la peinture doit contribuer « à inspirer la vertu et à épurer les mœurs. Cette exigence de moralité peut sembler contradictoire avec la liberté sexuelle prônée ailleurs par Diderot. Il distingue la liberté naturelle, qui est innocente, de la perversion qui s'attache aux raffinements érotiques de la civilisation.
Diderot homme de théâtre : les mêmes soucis de réalisme et d'enseignement moral doivent, selon Diderot, guider les auteurs dramatiques. Il produit simultanément une réflexion critique sur le genre théâtral, et une oeuvre personnelle de dramaturge. Il écrit ainsi deux drames, le fils naturel et le père de famille, et une comédie, est-il bon ? Est-il méchant ?. Ses écrits théoriques sont les entretiens sur le fils naturel et l’essai de la poésie dramatique : il y précise les caractéristiques du genre nouveau qu'est le drame.
L'oeuvre la plus célèbre qu’il a consacré au théâtre est le paradoxe sur le comédien. Il s’oppose à l'opinion courante selon laquelle le comédien doit éprouver les passions qu'il exprime. Diderot soutient au contraire qu'il ne s'agit que d'imiter les manifestations les plus expressives des émotions. Le rôle est donc pour le comédien une composition réfléchie.
Diderot romancier : quelques récits de Diderot appartiennent à des formes répertoriées. En 1748, il écrit un roman libertin, les bijoux indiscrets. Il écrit aussi quelques contes et, en 1760, la religieuse où il fait une satire impressionnante des couvents de femmes au XVIIIe siècle.
Mais les oeuvres les plus importantes de Diderot s'écartent de la forme habituelle des romans. Dans le neveu de Rameau et Jacques le fataliste, alternent le récit et un dialogue présenté à la manière de répliques de théâtre.
-- le neveu de Rameau
Le neveu de Rameau a été rédigé en plusieurs étapes. Il met en scène Jean-François Rameau, personnage réel, issu d'une famille de musiciens. L’oeuvre consiste essentiellement en un dialogue entre deux personnages : d'une part Jean-François Rameau, appelé aussi « le neveu de Rameau » ou simplement « lui » ; d'autre part le narrateur, qui se désigne aussi comme « M. le philosophe », ou « moi ».Le récit commence par une présentation de Rameau. À partir du modèle réel, Diderot recrée un personnage pittoresque. Le philosophe, dans le roman, écoute celui-ci, et engage le dialogue avec lui.
Rameau prône l’amoralisme qui, seul, permet de profiter au mieux d’une société elle-même corrompue. Le philosophe lui reproche son cynisme et lui oppose des principes moraux vantant « les charmes de la vertu ».
Le dialogue est interrompu de plusieurs pantomimes du neveu, qui imite de façon saisissante différents types sociaux.
Si Le neveu de Rameau est une des plus grandes oeuvres de Diderot, c'est pour l'intérêt philosophique des problèmes moraux, sociaux, esthétiques qui y sont débattus ; pour l'intérêt documentaire de la lutte contre les philosophes et leurs adversaires certes, mais surtout pour l'intérêt littéraire que présente la forme de ce curieux roman. Roman, certes, par la description des personnages et des milieux, mais surtout dialogue, entre deux personnages qui parfois s'opposent radicalement, parfois semblent étonnamment proche l'un de l'autre. Le dialogue pourrait ainsi représenter l'expression de deux tendances contradictoires de l'auteur : « lui» a sa vitalité, son côté bavard, brouillon, et surtout son expérience de la comédie sociale ; « moi », c'est le philosophe circonspect, vertueux et moralisateur. Ce dédoublement permet à Diderot de donner de sa pensée une expression nuancée, aucun des deux personnages ne l'emportant nettement sur l'autre.
-- Jacques le fataliste
Ce roman est une des dernières oeuvres de Diderot et littérairement la plus importante.
Il retient l'attention, tout d'abord, par l'originalité et la subtilité de sa construction. Il s'agit du récit d'un voyage qu'effectuent, à cheval puis à pied, un gentilhomme et son vallet. Mais le narrateur interrompt souvent le cours de l'action par des interventions à la première personne : interpellant le lecteur, il commente le récit, évoque les différentes orientations qu’il pourrait lui donner, ou développent des réflexions à propos de personnages ou des situations extérieures à ce récit. D'autre part, l'essentiel du récit consiste en une conversation entre le maître et Jacques, qui bavardent en chemin ou dans les auberges où ils s'arrêtent. Il arrive, enfin, qu'il rencontre au cours du voyage d'autres personnages qui, eux aussi, leur racontent des histoires. Le roman s'achève alors quand les deux personnages rencontrent par hasard un ancien ami du maître, ami qui l’avait par la suite trahi : le maître le tue, et s'enfuit, c'est Jacques qui est emprisonné. Le narrateur consent ensuite à le faire sortir de sa prison, à lui permettre de retrouver son maître, et à épouser la femme qu'il aime. Mais cette conclusion n'est qu'une possibilité : Diderot en propose trois différentes.
Jacques le fataliste a été en général mal accueilli par les critiques de son temps.
Il offre une synthèse assez complète de la pensée philosophique de Diderot. Les actes des personnages du roman sont le produit de causes externes, ou internes, qui ne laissent guère de place à la liberté individuelle. Il s'agit là du déterminisme cher à Diderot.
En matière de morale, ce roman réaffirme le mépris de Diderot pour le conformisme, pour les codes imposés par la religion ou la société. Il leur substitue une morale naturelle, qui consiste à rechercher un accomplissement individuel.
Jacques le fataliste est aussi un passionnant roman de moeurs qui présente la société de son époque dans ses aspects les plus diverses, et les conditions matérielles de la vie et les débats littéraire. ce livre permet à Diderot de développer sa conception du roman, à une époque où les règles du genre sont encore incertaines. Il refuse le romanesque des situations exceptionnelles et des coïncidences fabriquées qui font une intrigue. Il élimine aussi les portraits figés que le narrateur peut faire des personnages. C'est cette volonté d'imiter la discontinuité, le caractère inachevé de la vie réelle qui lui a fait choisir la forme d'un récit sans cesse interrompu par des digressions souvent elles-mêmes inachevées, parfois reprises plus loin. C'est ce qui a valu à Jacques le fataliste d'être parfois qualifié d'antiroman.
La correspondance de Diderot : l'oeuvre de Diderot comporte en fait une importante correspondance, intéressante pour la connaissance de sa personnalité et de son travail. Il s'agit de lettres adressées à des amis comme madame d'Épinay, Falconet, Grimm. Mais sa correspondante la plus régulière et la plus importante est Sophie volland.
Ses Lettres à Sophie Volland témoignent de relations à la fois sentimentales et intellectuelles : elles ont donc l'intérêt de peindre Diderot lui-même, et la vie littéraire de son temps.

III Les idées de Diderot.
Le matérialisme : Diderot a assez tôt rejeté non seulement la pratique d'une religion révélée, mais encore la croyance en un dieu créateur du monde. Cet athéisme repose sur l'idée que tout naît de la matière elle-même. Diderot développe ainsi une théorie évolutionniste : tout est matière, et celle-ci est en perpétuel mouvement.
Cette idée s’oppose à la conception d'un homme composé de deux éléments différents, le corps et l’âme.
La morale : le critère fondamental du bien et du mal est la nature, qui pousse chaque individu à chercher son bonheur. Diderot proteste donc contre les règles religieuses ou sociales, contre nature, qui restreignent la liberté sans profit pour personnes.
Les opinions esthétiques :
-- les tableaux doivent représenter le plus fidèlement possible la réalité.
-- au théâtre, il propose des genres qui décrivent la vie quotidienne : « comédie sérieuse » ou « tragédie domestique ».
-- les romans doivent eux aussi représenter la réalité. Diderot apprécie particulièrement les romanciers anglais. Il compose ainsi un éloge de Richardson.
Cette représentation de la réalité n'est pas seulement un choix esthétique. Elle a en outre la fonction d'émouvoir la sensibilité, et d’inspirer par là le goût de la vertu.

IV Le style de Diderot.
Le mode d'expression de Diderot est la littérature.
Le style de Diderot donne une impression de naturel. Il emploie une langue expressive et vivante, par la diversité du vocabulaire et de la syntaxe. Il emprunte à tous les registres de langue, de manière à caractériser les différents personnages. La syntaxe aussi est adaptée aux personnages ou aux situations.
Mais le plus grand charme de ce style tient à son humour. Il s'exprime notamment par :
-- des caricatures.
-- des ruptures de ton.
-- la fantaisie des reproches faits au lecteur.




 

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