BERTRAND Aloysius: Biographie, etudes et analyses

BERTRAND Aloysius: Biographie, etudes et analyses

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1807 - 1841
Bertrand-A De son vrai nom Louis Bertrand, il « poétisa » son prénom en « Ludovic » ou « Aloysius ». Mort à l'âge de 34 ans après avoir passé la plus grande partie de sa vie à Dijon, Bertrand ne put voir son oeuvre publiée. Les réticences ou les défaillances des éditeurs retardèrent pendant une dizaine d'années la publication du recueil, qui parut en novembre 1842, plus d'un an après la mort de l'auteur, sous le titre de Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot.


A. Bertrand présente le premier comme des créations originales, et non plus comme des traductions d’œuvres étrangères, des textes ressemblant à de « petites ballades en prose » : c'est l'expression qu'utilise Sainte-Beuve à son propos dans la Notice qu'il écrivit pour la première édition de Gaspard de la Nuit. Bertrand devient ainsi le créateur d'un nouveau genre : « J'ai essayé de créer un nouveau genre de prose », écrit-il à son ami David d’ Angers (lettres du 18 septembre 1837).
Le titre complet, Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, est chargé de connotations
- d'une part en direction de la peinture et de la gravure
- de l'autre en direction du fantastique : les «Fantaisies à la manière de Callot » étaient déjà le titre d'un volume de contes de E. T. A. Hoffmann récemment traduit de l'allemand en français. En outre Gaspard de la Nuit, que Bertrand met en scène dans une sorte de prologue et qu'il présente comme le véritable auteur du recueil ne serait autre que le diable.

L'inspiration fantastique, à la mode du temps, ne se dément guère au cours des six brefs « livres » qui composent le manuscrit confié à Louis Bertrand par le ténébreux Gaspard. On y trouve sorciers et sorcières partant pour le sabbat, magiciens dansant en rond sous une cloche, un esprit du feu qui se moque d'un alchimiste, et d'autres esprits surnaturels nommés comme de vieilles connaissances : l'Ondine qui apparaît à la fenêtre, la Salamandre amoureuse d'un grillon, et surtout l'effrayant Scarbo, tortionnaire de Gaspard : «Scarbo qui me mord au cou, et qui, pour cautériser ma blessure sanglante, y plonge son doigt de fer rougi à la fournaise ! » («La Chambre gothique »). Personnages humains et surnaturels évoluent dans un décor de Moyen Âge parisien ou dijonnais, de primitifs flamands et, dans le cinquième livre, d'Espagne et d'Italie de convention. Mais ce matériel imaginaire, même s'il ouvre parfois sur certains territoires deviendront des domaines privilégiés du poème en prose, n'est pas ce qui importe le plus dans l'oeuvre de Bertrand.

Ce n’est pas un pouvoir de reconstitution historique qu’admireront Baudelaire, Mallarmé ou Breton (qui dans le Manifeste du Surréalisme proclame Bertrand « surréaliste dans le passé »), mais la manière dont Bertrand organise ces éléments du passé en courts textes proprement poétiques et autonomes. Bertrand compare son art à celui du graveur dans le titre de son œuvre, mais on peut encore plus le comparer à celui du mosaïste ou du verrier. Les pièces de Gaspard de la Nuit se composent de séquences discontinues, chargé de couleurs et de détail fantastique. Il en résulte un récit fortement elliptique, qui débute et s'achève souvent de manière abrupte. Au sein des textes, des personnages apparaissent, s'agitent, échangent quelques répliques et disparaissent soudainement : comédie, tragédie, scène historique, portraits, légendes alternaient un poème à l'autre et se condensent en quelques paragraphes : l'art du verrier se combine à celui du miniaturiste.

Brièveté et discontinuité sont l’ héritage de la ballade à couplets, héritage très consciemment exploité par Bertrand qui recommande, dans ses « Instructions à M. le Metteur en pages » de « blanchir comme si le texte était de la poésie. [...]M. le Metteur en pages remarquera que chaque pièce est divisée en quatre, cinq, six, sept alinéas ou couplets. Il jettera de larges blancs entre ces couplets comme si c'était des strophes en vers. » La discontinuité du récit permet à l'auteur de créer des effets de répétition et surtout de combinatoire que l'on a très justement comparés à un jeu de kaléidoscope. Le jeu culmine dans le poème «Un rêve » où l’effet d'incohérence onirique est produit par la distribution à travers les paragraphes des éléments constitutifs de trois scènes simultanées : trois décors, puis trois séries de sons auditifs et enfin trois agonies dont les conséquences ont présentées selon un groupement différent dans les deux derniers paragraphes. Une dernière proposition («Et je poursuivais d'autres songes vers le réveil ») replonge le sujet rêvant dans le flux du temps que la simultanéité des scènes rêvées avait un moment suspendu.

Le narrateur de Gaspard de la Nuit, et à travers lui le lecteur deviennent,
grâce à des jeux de juxtaposition, de surimpression, de télescopage, contemporains d'un passé revécus par bribes singulièrement précises. Les poèmes de Bertrand deviennent ainsi, comme l'écrit Max Milner « des machines à faire rêver ». Cette réussite, qui passa inaperçue à l'époque, repose sur une série de refus : refus d'une prose poétique coulante au profit de notations sèches, refus du développement et de l'amplification au profit de la concision, refus du lyrisme vague, du détail arbitraire, de l'épithète floue. C'est à force de condensation, en jouant sur les ruptures et les silences qui donnent à chaque mot son plein pouvoir de suggestion que Bertrand créait une nouvelle forme poétique, ouvrant sans le savoir la voie ou Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud et bien d'autres marcheront à sa suite.




 

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